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Sonya Ben Behi, vous avez accepté de répondre aux questions de la Sultane et nous vous en remercions. 

Parlez-nous de vous, de votre parcours, de ce que vous faites, de votre monde

Sonya Ben Behi : D’abord, merci beaucoup d’avoir pensé à moi pour votre série, j’ai vu des profils très inspirants. Bravo pour tout ce que vous faites.
Je suis Sonya, 33 ans, médecin de formation, ma spécialité est la microbiologie (donc oui, les virus entre autres, ne me jugez pas !) mais je me définis toujours comme une grande passionnée de lecture. C’est mon activité préférée depuis toute petite, et rien n’a pu la détrôner même à l’âge adulte. 

Je suis une fervente adepte de la littérature et depuis quelques années, j’ai commencé à partager ma passion sur les réseaux sociaux. Mon mari est un auteur et on s’est connu lors du lancement de son premier livre. Nous avons une énorme bibliothèque à la maison et on s’est même mariés dans notre librairie préférée ! Oui, chez nous, on ne fait pas les choses à moitié.

Les métiers du digital ne sont pas encore très connus du grand public. Vous avez choisi de devenir Booktubeuse. Expliquez-nous la naissance de ce projet, ce que cela vous apporte. 

Sonya Ben Behi : J’ai lancé ma chaîne YouTube Serial Reader/Liseuse en Série grâce à mon chéri et à mes amies Sahar et Yosra (qui a fini par m’enfermer et m’obliger à filmer ma première vidéo). J’avais ce besoin de partager, et j’ai commencé par les chroniques écrites avant de passer au format vidéo. J’avais comme beaucoup des problèmes de confiance en moi, avec ma voix, mon visage, etc. et faire des vidéos avaient eu un effet thérapeutique sur moi. L’accueil était très positif dès le début et c’est ce qui m’a encouragée à continuer. Après YouTube j’ai lancé un blog et une page Facebook affiliée du même nom. Puis, quand Instagram est devenue « en vogue » et qu’on voyait des instagrammeurs/ses de tout (cuisine, lifestyle, mode, maquillage, voyages, etc.) je me suis dit que ça valait le coup d’essayer. Je suis donc une « bookstagrammeuse » au nom de Sonya Serial Reader.

Racontez-nous les difficultés que vous rencontrez.

Sonya Ben Behi : Il y a des jours où c’est vraiment difficile de trouver la motivation, comme toute activité non-lucrative. Créer un contenu à la fois élaboré et assez simple pour s’adapter au plus grand nombre n’est pas évident. Comme mes goûts sont éclectiques en littérature, et comme je suis trilingue (mes publications sont en français, arabe ou anglais.) c’est aussi difficile d’avoir une « ligne éditoriale » ou une « spécialisation »

Sonya Ben Behi

Que pensez-vous du rapport des Tunisiens aux livres et à la lecture ?

Sonya Ben Behi : Un seul mot d’ordre : démocratiser la lecture! Malheureusement, on est encore regardé comme des « geeks » asociaux, voire des gens « bizarres » par un grand nombre de nos concitoyens. Mes collègues n’arrêtaient pas de me narguer pendant mes années d’étude, et même à l’hôpital. Je pense qu’il faut que la lecture soit aussi un trend, une activité attrayante, et même sexy, et accessible à tous. Il faut séparer la lecture de l’image classique de l’intello dans sa tour d’ivoire. Et ça ne peut se faire sans l’engagement des médias. 

On manque cruellement d’émissions télé dédiées (ou pas) à la lecture, ou de chroniques littéraires dans les talk-show, malheureusement de nos jours, c’est la recherche du sensationnel qui règne, le bad buzz, et la médiocrité. Je garde toutefois espoir dans les jeunes. J’en ai rencontré notamment sur les foires et les salons du livre, plusieurs viennent me parler en messages, et non seulement ils lisent, mais ils lisent beaucoup, et ils invitent les gens à le faire. Il y a tout un mouvement sur les réseaux sociaux et j’espère que ça atteigne les médias de masse.

Comment se porte l’industrie du livre en Tunisie ? Qu’en pensez-vous ? 

Sonya Ben Behi : Je ne vous dévoile pas un secret si je dis que l’industrie du livre en Tunisie se porte mal ! Comme mon mari est aussi co-fondateur d’une maison d’édition Pop Libris, je connais de près les difficultés d’être éditeur en Tunisie. Le papier est très cher, d’où les frais importants d’impression, et comme il faut compter la moitié du prix du livre pour le distributeur, avec les frais de la mise en page, couverture, illustration, etc. avec les droits d’auteurs, les éditeurs peinent à serrer les prix des livres, ce qui donne des prix chers pour le lecteur tunisien. Ceci est en soit un obstacle dans un marché déjà restreint. Le problème de promotion du livre tunisien aussi, et ici on revient aux médias. On fait ce qu’on peut sur les réseaux sociaux, mais malheureusement, ce n’est pas suffisant. Et les chiffres sont juste alarmant !

C’est peut-être une extrapolation trop poussée et nécessitant, sans nul doute, des études plus sérieuses, pensez-vous que cette absence de lecture ait une incidence sur ce qui se passe en Tunisie de nos jours ?

Sonya Ben Behi : Je ne pense pas que ce soit sans relation. Je suis profondément convaincue que le sens de la citoyenneté dans une nation est proportionnel au nombre de lecteurs. Les peuples qui lisent le plus sont les plus « civilisés ». La lecture ne nous instruit pas seulement, elle nous apprend surtout l’empathie, la tolérance, et l’acceptation de l’autre ; valeurs dont on manque cruellement. L’agressivité et la haine viennent entre autres de l’ignorance (pas dans le sens académique, mais dans le sens culturel). Il y a certainement d’autres facteurs comme la précarité, etc. mais je reste persuadé que la pauvreté culturelle est incriminée.

Sur votre chaîne YouTube, vous avez abordé un sujet personnel et avez osé briser un tabou. Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir ce pas ? 

Sonya Ben Behi : Sur ma chaîne YouTube et même sur Instagram j’ai choisi de m’ouvrir sur mon expérience avec la maladie mentale. Je souffre d’une dépression chronique et d’anxiété, et c’est probablement pourquoi je suis passionnée par la santé mentale. J’ai fait beaucoup de formations et j’essaie comme je peux de briser les tabous et d’aider les gens qui souffrent comme moi, ne serait-ce en leur montrant qu’ils ne sont pas seuls, et que ça ne nous empêche pas de vivre, et même d’être joyeux. 

On stigmatise toujours la maladie mentale parce qu’on ne la voit pas, alors que le suicide ne cesse d’ôter des vies, alors que la bipolarité et la schizophrénie augmentent, alors que ces maladies sont des plus douloureuses et des plus handicapantes (socialement, professionnellement, filialement, etc.). J’essaie d’instaurer l’habitude d’en parler régulièrement, et même de me montrer quand je ne vais pas bien, pour dire que ça existe, et que même sur Instagram, tout le monde n’est pas parfait, et que c’est parfaitement normal de se sentir mal. C’est un peu le contre-courant de la «positivité à tous les coûts. »

Quel est votre livre préféré ? Celui que vous avez aimé cette année ? Celui que vous recommandez autour de vous, sans la moindre hésitation ?

Sonya Ben Behi : C’est une question difficile. Pour les Tunisiens, je recommande toujours le Sang des Anges de Samy Mokaddem parce que j’y ai contribué d’abord, et parce que c’est un livre qui fait l’unanimité. Tout le monde vient me remercier après 😀
La découverte de cette année est Abir Guesmi et son roman Julia (en arabe) pour les Tunisiens. Sinon n’importe quel roman de Ahmed Khaled Taoufik pour la langue arabe et n’importe quel Dostoïevski. D’ailleurs, j’organise cette année un Octobre Russe (#octobrerusse) pour lire des auteurs russes ou slaves, et j’invite tout le monde à y participer.

Par quelle question aimeriez-vous finir cette interview ? 

Sonya Ben Behi : Ce n’est pas une question, juste un petit message, en ce temps de pandémie, et d’actualité nationale déprimante, la meilleure chose à faire est de vous plonger dans un roman, effet anxiolytique garanti. Sinon, si vous vous sentez vraiment mal, n’hésitez pas à demander de l’aide, n’hésitez pas à en parler. Merci encore une fois pour cette interview. C’est un privilège de figurer avec ces femmes extraordinaires.


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