Lors d’un concours de recrutement de futurs cadres pour une administration publique tunisienne, j’ai eu l’opportunité de participer cette année au jury de sélection des jeunes diplômés en marketing et qui justifiaient d’un cursus de formation au minimum de BAC+ 4 ou 5.
Je venais de rentrer en Tunisie après 17 ans d’études et de carrière professionnelle en Europe. J’ai donc été moi-même, à un moment de mon parcours professionnel, à la place de ces jeunes candidats. Ainsi, j’ai trouvé intéressant de me retrouver de l’autre côté de la barrière et d’accompagner aussi bien des structures d’emploi que des jeunes à trouver le meilleur “matching” possible entre opportunités professionnelles et profils de candidats.
La nécessité impérieuse de préparer autrement les futurs diplômés au marché du travail…
Toutefois, j’ai été à mille lieues d’imaginer que j’allais découvrir, avec désarroi, la qualité des dossiers de candidatures et surtout le degré de préparation de ces jeunes candidats pour les entretiens d’embauche.
Statistiquement, pour un poste ouvert, une centaine de dossiers étaient reçus. Parmi lesquels, seuls deux candidats justifiaient de dossiers acceptables.
Au delà du sérieux problème d’emploi auquel ces chiffres peuvent renvoyer, il est alarmant de réaliser qu’en moyenne 98/100 dossiers de candidature n’ont pas atteint le niveau d’acceptabilité!
Les dossiers étaient incomplets, truffés de fautes graves d’orthographe et de grammaire, non structurés, ne permettaient pas une bonne compréhension du cursus ou du projet personnel/professionnel des candidats, rédigés sur un ton monotone ne facilitant pas leurs lectures ou la valorisation d’expériences qui pouvaient être intéressantes.
Mon autre constat était l’absence quasi totale de formalisation, aussi minimale qu’elle soit, des motifs de refus de chaque dossier de candidatures. On prive ainsi ces jeunes (à mon humble avis, en détresse professionnelle) d’un réel espoir d’amélioration, basé sur des recommandations factuelles venant de la part de personnes séniors. Le fossé, déjà abyssal entre jeunesse et monde du travail, ne pouvait qu’être creusé davantage.
Une fois le temps des constats passé et sans être nécessairement un expert en recrutement ou en gestion des ressources humaines, j’ai identifié quelques actions concrètes pour améliorer cette situation et pour cela je me baserai sur un concept principal qui est la “bienveillance”. Ceci devrait à mon sens, s’illustrer à plusieurs niveaux.
La bienveillance professionnelle en action
Au stade étudiant
Cela pourrait s’illustrer par un ensemble de concepts simples et pratiques inspirés d’expériences internationales.
Par exemple, la formation ne doit pas seulement se concentrer sur des cours théoriques mais devrait permettre aux étudiants de se développer humainement pour arriver dans la vie professionnelle. Il faudrait aider les étudiants à développer leurs capacités à faire des choix structurants pour construire leurs parcours professionnels. La formation par “modules” sélectionnés par les candidats permettrait ainsi à chacun d’eux d’être maître de son parcours au lieu de subir les programmes des troncs communs. L’étudiant serait ainsi responsabilisé et mieux apte à justifier les choix de parcours dont il est l’acteur principal. Cette étape doit évidemment rester encadrée par des conseillers en orientation qui accompagnent chaque étudiant dans cet exercice crucial.
La formation devrait également, être jalonnée de séjours en entreprise (stages, projets professionnels, alternance, etc…) qui permettraient aux étudiants, encore dans un cadre protégé, de mieux appréhender le monde de l’entreprise. C’est à travers les expériences pratiques qu’on amène les étudiants à développer leurs intelligences contextuelles et mieux préparer leurs futures embauches.
Cette étape devrait être accompagnée, en université/école, par des séances dédiées à la préparation et l’élaboration de Curriculum Vitae (CV) et d’entrainement aux entretiens d’embauche. Il convient à ce stade de reconnaître que l’exercice de l’entretien n’est pas un exercice intuitif/inné et qu’il est donc essentiel d’armer ces étudiants avec un ensemble d’outils techniques qui leurs permettent à la fois d’avoir le recul nécessaire par rapport à leurs parcours et aussi d’adapter leurs discours de présentation aux contextes de chaque opportunité.
Au sein des entreprises
Un deuxième axe d’amélioration du système dans sa globalité pourrait être l’instauration d’une deuxième règle de “bienveillance” auprès des employeurs. Ces derniers seraient appelés à formaliser les réponses aux candidatures reçues. Il est essentiel, pour un recruteur, de raisonner à l’échelle macroscopique et de ne pas chercher l’intérêt microscopique et immédiat de cette opération.
Des candidats qui reçoivent les motifs de refus de leurs dossiers, ont plus de chance de progresser. A contrario, les candidats écartés sans motifs se retrouvent privés de toute chance d’amélioration. Aussi évident que cela puisse paraître, cette étape fondamentale du processus du recrutement est souvent négligée par manque de temps et de ressources, laissant dériver vers la marginalisation un grand ensemble de jeunes diplômés qu’il est pourtant essentiel d’intégrer à la vie professionnelle et sociale.
L’intérêt moyen-long terme pour un employeur, en plus de sa responsabilité sociale, est de se retrouver à l’avenir face à des candidats qui ont de meilleurs profils car issus d’autres processus d’embauche qui les ont accompagnés à s’améliorer. Les coûts des processus d’embauche pour un recruteur ne peuvent ainsi qu’être optimisés et c’est en cela que cette option me parait être du Gagnant-Gagnant.
Pour finir, mon expérience unique de participation au jury de recrutement de ce concours administratif m’a renvoyé vers mon propre parcours de formation et professionnel à l’international. A la lumière de cette analyse j’espère avoir apporté quelques axes d’amélioration concrets que j’envoie comme une bouteille à la mer d’un côté, aux responsables des parcours de formation dans les universités/écoles tunisiennes et de l’autre côté à l’ensemble des dirigeants d’entreprises pour créer une rupture capable de tirer vers le haut l’ensemble de l’écosystème.
Par Helmi Ismail
Je suis passionné par les projets de santé en général et par les sujets de santé numérique plus spécifiquement. L’une de mes principales motivations à travers mes activités est de promouvoir l’utilisation de nouvelles technologies améliorant le circuit des patients, la qualité et l’efficience des services fournis par les systèmes de santé publiques. Comme beaucoup de pays, le système de santé de la Tunisie est confronté à d’importants défis et à des transformations majeures comme les transitions épidémiologiques et démographiques, les déserts médicaux, les contraintes budgétaires, etc. Je suis très chanceux de gérer des programmes nationaux visant à faire face à tous ces défis; parmi lesquels je peux citer à titre d’exemple la modernisation du système d’information sanitaire , la promotion de la télémédecine, le déploiement de télé-services, etc