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Lilia Bouraoui : Une vocation au service de la vie

Pour Lilia Bouraoui, devenir médecin représentait une évidence. Son père, Tayeb Bouraoui, travaillait à l’administration des hôpitaux et dirigeait notamment le CHU Charles Nicole. Il côtoyait quotidiennement des médecins et admirait leur dévouement. Il souhaitait que sa fille chérie intègre leurs rangs pour accomplir à son tour une noble mission.

Dès son plus jeune âge, Lilia montrait une sensibilité particulière aux maux des hommes. Elle embrasse naturellement les vœux de son père et s’engage dans cette voie avec détermination.

Formation et premières inspirations

Les années montpelliéraines

Après son baccalauréat, Lilia part à Montpellier poursuivre ses études de médecine. La première année s’avère difficile pour celle qui a toujours été choyée par ses parents. Elle doit s’adapter à la séparation familiale tout en consacrant toute son énergie à ses études.

Elle ne trouve de répit que les dimanches, quand le professeur Jean Fourcade l’invite à se joindre à sa famille pour le repas dominical. Ce chef de service de l’hôpital de Montpellier et ami proche de son oncle marque profondément la jeune étudiante.

« Il était d’une grande gentillesse. Un homme humble et très simple comme on en voit peu de nos jours », évoque Lilia avec affection. Jean Fourcade lui montre que la réussite ne rime pas avec arrogance. Il faut toujours faire preuve de compassion.

« C’était mon ami, mon professeur, mon Maître. Un être humain que j’aimais profondément. »

L’influence du professeur Ghachem

Jean Fourcade conforte l’idée que Lilia se fait du rôle du médecin. Cette vision trouve déjà son incarnation chez le professeur Abdel Aziz Ghachem, médecin légiste et doyen de la faculté de médecine de Tunis.

Celui qu’elle appelle « mon oncle » devient une sorte de père spirituel : « C’était le médecin idéal, le grand ami de papa. Il m’a beaucoup marqué et je voulais lui ressembler. »

L’excellence par le sacrifice

La jeune étudiante dort seulement 2 ou 3 heures par nuit et étudie constamment. Elle refuse de décevoir son père qui croit fermement en elle : « Pour moi, il fallait que je réussisse du premier coup. Je le devais pour mon papa. »

Lilia Bouraoui réussit brillamment en terminant parmi les premiers de sa promotion.

Lilia Bouraoui

Retour en Tunisie et vocation confirmée

Après deux ans d’études à Montpellier, elle revient à Tunis pour poursuivre sa formation. Elle rejoint une équipe de médecins formidables, soucieux de contribuer à la pérennité d’un système de santé équitable et accessible à tous.

« On donnait beaucoup de soi. On travaillait par dévouement, parce qu’on se sentait investi d’une mission », explique-t-elle.

Le choix de la gynécologie-obstétrique

Le stage de chirurgie fait son bonheur. Après avoir hésité entre chirurgie esthétique et chirurgie générale, Lilia opte pour une discipline féminine par excellence. Elle devient gynécologue-obstétricienne et s’occupe à la fois des femmes et de leurs enfants.

« J’adore pratiquer un accouchement. C’est une merveille de la nature. Si je pouvais aider un enfant à naître chaque jour, je serais la personne la plus heureuse au monde. C’est comme voir une fleur s’ouvrir. C’est la nature qui se renouvelle. »

Réalités médicales contemporaines

Concernant l’augmentation des césariennes, Lilia Bouraoui nuance les idées reçues. Les médecins ne choisissent pas cette opération pour des raisons mercantiles. Parfois, les futures mamans en font la demande pour préserver leur périnée. En général, la voie basse reste privilégiée.

Plusieurs facteurs expliquent cette tendance : manque d’exercice physique, augmentation du poids de naissance, volonté d’éviter les complications obstétricales, incidence croissante du diabète gestationnel et de l’hypertension gravidique.

« Nous médecins avons la responsabilité d’évaluer la situation et de prendre nos décisions le plus tôt possible », précise-t-elle.

Une carrière hospitalière exemplaire

Auprès du docteur Chelli

Lilia Bouraoui débute sa pratique à l’hôpital public et seconde rapidement son chef de service, le docteur Mohamed Chelli. Ce médecin extraordinaire possède une force de travail impressionnante. Il arrive à 6 heures du matin pour commencer sa tournée.

Humble, clairvoyant et intelligent, il n’hésite pas à se remettre en question même devant les plus jeunes. Il travaille jusqu’au dernier jour de sa vie.

« Je lui dois beaucoup. J’étais son élève, j’étais sa fille. Il m’a beaucoup appris et je l’ai adoré pour ça. »

Les défis du service public

Mère d’une petite fille de trois ans, Lilia Bouraoui se retrouve seule à devoir occuper la fonction de chef de service. Elle forme les médecins plus jeunes et travaille de nuit comme de jour car le service manque déjà de personnel.

Elle fait part de ses difficultés au ministère et demande le recrutement de nouveaux médecins. Sans surprise, ses messages restent lettre morte. Lilia Bouraoui présente alors sa démission.

« Je n’avais plus de temps à consacrer à ma fille, je trouvais à peine celui de me doucher, je travaillais jour et nuit. Au bout d’un certain temps j’ai été lessivée. D’ailleurs, je me suis donnée trois mois pour me reposer avant d’ouvrir mon cabinet. »

Engagement humanitaire et rêves d’avenir

L’association « L’enfant d’abord »

Lilia Bouraoui s’investit activement dans l’association « L’enfant d’abord » qui la mène aux quatre coins de la Tunisie. L’une de ses expériences marquantes se déroule à Ain Drahem où elle consulte plus de 80 personnes le premier jour.

« J’ai donné à chacun son ordonnance… Mais cela n’a servi à rien. Aucun d’entre eux n’avait les moyens d’acheter ce dont il avait besoin. La fois suivante, j’ai ramené les médicaments et les ai directement distribués aux patients. »

Solidarité révolutionnaire

En 2011, les médecins s’organisent spontanément pour porter secours aux réfugiés libyens dans les camps de Ras Jedir. Lilia Bouraoui y passe trois jours intenses, témoignage de l’engagement humanitaire des praticiens tunisiens.

« Il ne faut pas remettre en question le dévouement de nos médecins ni leur engagement humain », insiste-t-elle.

Un rêve philanthropique

Si elle en avait les moyens, Lilia réaliserait son rêve : créer une maison pour personnes âgées. Elle a même pensé transformer sa propre maison, inspirée par l’expérience d’une amie qui a réaménagé son habitation pour accueillir des pensionnaires atteints d’Alzheimer.

« S’il y a bien une cause qui me tient à cœur, c’est celle des personnes âgées ou des mères célibataires. Ces deux groupes sont souvent maltraités et ostracisés. L’idée serait de les aider à se reconstruire. »

Équilibre famille-carrière

Un choix maternel

Au-delà de la fatigue physique, c’est l’amour pour son enfant qui décide Lilia à quitter l’hôpital public. Le père travaille beaucoup et reste peu présent.

« Il fallait bien que l’un des parents soit présent. On ne fait pas d’enfants pour laisser la femme de ménage s’en occuper. Ils ont besoin de nous, de notre attention, de notre affection. Nous sommes leur repère et nous devons les préparer à apprendre la vie. »

Elle se montre fière de sa fille aînée qui travaille dans la finance et de son fils étudiant en médecine. « Nos enfants sont un trésor. C’est ce que nous avons de plus beau. »

Philosophie de vie et message d’espoir

Passion et épanouissement

« J’ai fait ce que j’aimais faire. Toujours agi avec passion en optimisant mes circonstances. J’ai toujours été convaincue par mes choix, parce que j’adore mon métier », confie-t-elle.

Si elle devait changer quelque chose dans son parcours, ce serait de rester plus longtemps dans le service public. « Mais une fois qu’on quitte son hôpital, on ne peut plus y revenir. »

La magie de la naissance

La passion de Lilia Bouraoui transparaît dans chacun de ses mots quand elle évoque son métier :

« La magie opère dès que j’annonce à une femme qu’elle est enceinte. Quand je vois sa joie, j’ai l’impression d’avoir participé directement à cette vie. L’une des plus belles choses dont je suis témoin est ce premier regard que la maman pose sur son enfant, après l’avoir porté neuf mois dans son ventre. »

Un message universel

« La femme tunisienne est une battante… Nous avons également une jeunesse dynamique et prometteuse. Je les encourage à aller de l’avant. On ne peut être épanoui qu’en étant passionné de ce qu’on fait. »

Pour Lilia Bouraoui, la vie vaut la peine d’être vécue. Être la première personne à recevoir la vie lors des accouchements constitue un privilège dont elle ne se lasse jamais.

« C’est un moment chargé d’émotions qui nous rappelle le sens de la vie. La vie, c’est l’amour. »


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Article paru dans La Sultane #44


féministe

Le devoir d’être féministe

Houda ChoukHouda Chouk29 juillet 2025

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