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Testour se situe à 77 kilomètres au sud-ouest de Tunis… Rattachée au gouvernorat de Béja, cette municipalité de 12.732 habitants (en 2004) constitue le chef-lieu d’une délégation de 23.500 habitants. Bâtie, au début du XVII e siècle (vers 1609), sur le fleuve de la Medjerda en lieu et place de Tachilla, un ancien village romain, elle est devenue, après la migration des maures en Tunisie vers 1580, une de leurs plus grandes villes. Sa Grande Mosquée érigée au cours du premier tiers du XVII e siècle, (vers 1631), ses ruelles et ses maisons de plus de 600 ans en font l’une plus anciennes villes de la Tunisie.

Les origines de la ville

Testour est en voie de devenir l’une des destinations privilégiées du tourisme tunisien, intérieur comme extérieur. Une excursion organisée il y a de cela quelques semaines, intitulée «Villes andalouses», a permis à ceux qui y ont pris part de découvrir les quartiers et les villes fondés par les andalous à leur arrivée en Tunisie. Des lieux emblématiques tels que Mjez El Bab, Slouguia, Téboursouk ou encore … Testour.

L’événement en question, initié par l’Association Tunisienne des Etudes et des Recherches Urbaines (ATERU), prouve l’intérêt grandissant des tunisiens pour les villes historiques. L’ATERU est une association regroupant chercheurs, doctorants et universitaires mais aussi urbanistes, géographes, architectes et historiens de renom qui œuvrent pour faire connaitre au plus grand nombre les richesses de notre patrimoine. «Les visites étaient guidées par Ramla Hsaiti et Abdelhalim Koundi, celui-là même qui mis en marche l’horloge de la mosquée de Testour » confie Raoudha Ben Ayed initiatrice de l’excursion. Ainsi, pour la modique somme de 30 Dinars, il était possible pour toute personne intéressée de plonger dans un glorieux passé, celui de Testour, ville du Maalouf et du Ricotta.

Après la Reconquista et avoir été chassés d’Espagne par les rois catholiques, les andalous ou comme on les nomme communément les morescos (les maures), trouvent refuge en Afrique du nord. Alors que les espagnols de confession juive élisent domicile au Maroc, les andalous musulmans s’éparpillent un peu partout entre le Maroc (Fès), l’Algérie (Tlemcen) et bien entendu la Tunisie, apportant avec eux leurs us et coutumes et enrichissant par la même la vie politique, culturelle et sociale des pays concernés. Mais l’histoire de l’émigration des andalous en Tunisie commence avant la chute de Grenade survenue en 1492, bien qu’elle se soit néanmoins intensifiée depuis cette date. Elle s’est même prolongée sur deux siècles avant l’expulsion totale de tous les maures andalous de la péninsule ibérique en 1610.

Les autorités turques qui gouvernent alors la Tunisie les accueillent à bras ouverts. En effet Othman Day et après lui Youssef Day jugent cette population active et bien instruite et favorisent son implantation dans la capitale ainsi que dans les régions du nord tunisien. Parmi ces maures, un groupe se détache: les Tagarins. Venus de Castille et d’Aragon ces derniers portent leur choix sur une région située à 76 Km de l’ouest de la capitale Tunis, au Nord de la Tunisie. Une région particulièrement fertile qui s’étale sur la rive droite du fleuve de Medjerda et se trouve sur la route qui relie Tunis capitale à l’Algérie. Située sur les restes du village romain de Tachilla, Testour ne manque pas d’eau et devient rapidement une grande plaine cultivée et entourée d’oliviers.

Le charme andalou de la ville de Testour

Les noms des familles ainsi que les archives attestent que pendant près d’un siècle et demi, les «testouriens» ont continué à parler espagnol et à observer certaines traditions comme la pratique de la Corrida. Ses ruelles, ses maisons de plus de 600 ans et les quartiers de la Rhiba, de la Hara et bien sûr de Tagarin en font l’une des villes les plus anciennes de Tunisie. Elle est en outre encore très imprégnée du cachet andalou que l’on retrouve dans des habitations couvertes par des tuiles parfaitement alignées et comprenant étables et greniers. Les pièces traditionnelles s’ouvrent sur un patio au centre duquel se dresse un arbre de toute beauté. Qui n’a jamais été frappé par la beauté de la place centrale et sa disposition en forme de carré typiquement espagnole?

La grande mosquée de Testour

Dans l’ouvrage intitulé Le voyage en Tunisie et paru en 1893, un savant et un architecte répondant aux noms de René Cagnat et Henri Saladin sont chargés par le ministère de l’Instruction publique français d’une mission d’exploration archéologique, au moment même où la France s’apprête à imposer son protectorat à la Tunisie. L’extrait donne une description assez détaillée de la mosquée: «Le minaret de la grande mosquée s’élève devant nos fenêtres un peu sur la droite. Il est plus richement orné que les autres. Il est décoré d’un revêtement de carreaux en faïence de toutes les couleurs: le blanc, le vert et le noir y dominent. Sur la tour carrée qui forme le couronnement s’élève un toit pointu en tuiles, surmonté d’une flèche aigue. Celle-ci repose sur trois boules superposée et est terminée par un croissant. Pris dans son ensemble, ce monument est d’une grande élégance».

Grande mosquée de Testour

La grande mosquée de Testour est édifiée par Mohamed Targarino en 1630 et se situe au cœur de la ville, à l’intersection des grandes artères. Devenue son symbole, elle possède deux cours: la plus grande est située au nord. Quant à la seconde, de moindre dimension, elle se trouve avec la salle d’ablutions du côté nord-est. La mosquée offre une synthèse inédite entre les traditions locales et les techniques décoratives et architecturales hispano-mauresques. Le caractère sobre de l’édifice indique une influence de l’art mudéjar (les mudéjar sont les musulmans d’Espagne devenus sujets des royaumes chrétiens pendant la période de tolérance). Il convient de noter que des travaux d’agrandissement ont eu lieu au XVIII ème siècle. L’édifice se déploie ainsi sur un plan rectangulaire: la salle de prière assez large est accessible par six entrées, et organisée en sept travées* et neuf nefs** perpendiculaires au mur de qibla, délimitées par des arcs reposant sur des colonnes.

La nef médiane correspondant à l’axe du mihrâb, est valorisée par deux coupoles sur pendentifs, comme dans l’art ottoman.

Testour: une architecture fascinante

Au milieu de la grande cour se trouve un cadran solaire en marbre signé Ahmed al-Harrâr et daté de 1761. L’angle nord-est de la cour est occupé par le minaret, composé de deux tours superposées. Celle du bas est de plan carré, et construite selon le procédé tolédan en matériaux mixtes (chaînage en briques et remplissage en moellons), tandis que le haut de plan octogonal, couronné d’un lanternon à toiture pyramidale en bois, est percé de baies géminées et richement décoré de revêtements de céramique et d’un cadran d’horloge. L’allure du minaret est proche des clochers aragonais et de ceux du sud de l’Espagne.

La seconde cour à galerie hypostyle unique couverte en toitures a un pan et une salle d’ablution déforment la régularité du plan de la mosquée côté nord-est.

Le répertoire décoratif s’inspire de l’art andalou. Le décor géométrique, le plus répandu, se présente sous diverses formes comme des losanges, des hexagones, des cercles, des étoiles et des rectangles. Quant aux éléments floraux, généralement stylisés, ils prennent la forme de fleurs lancéolées, de rosaces, de feuilles à ordonnance rayonnante autour d’un motif central, de feuilles de palmier et de branches de figuier. À ces éléments s’ajoutent des marques de maçon. Tous ces motifs décorent les coupoles, la niche inférieure du mihrâb ainsi que des panneaux de stuc.

Savoir-faire andalou

Le minaret est décoré par des étoiles de David qu’on trouve couramment dans les mosquées tunisiennes, les portes des maisons et les zaouïas. Ce qui laisse entendre que la communauté juive andalouse est bien intégrée parmi la population et a sans doute contribué à la construction du minaret. Au-dessous de l’une des fenêtres est incrusté le cadran d’une horloge, particularité qui se trouve rarement dans les minarets de son époque de construction. Par ailleurs, les aiguilles tournent à l’envers et les chiffres sont orientés vers le centre. Testour est connue dans le monde arabe pour le festival international de malouf et de musique arabe et traditionnelle qu’elle abrite depuis 1967. Et pour cause, la ville a connu une vie religieuse intense, notamment avec d’illustres savants comme Ali Al-Coundi (mort en 1708), Ibrahim Riahi (mort en 1850), mais aussi grâce à la transcription des manuscrits et à la propagation des confréries mystiques comme la Issawia , qui conjugue dans les zaouias avec le Malouf, la noria… Ville du Maalouf, du fromage ricotta, des grenadiers, des abricotiers et des oliviers (vocation agricole renforcée depuis 1982 par le barrage de sidi Salem), Testour renoue petit à petit avec son prestige d’antan.

À l’heure où nous rédigeons ces lignes, une course de 16 km en musique lancée sous le nom « Jogg’art » permet de redécouvrir la ville sous un nouveau jour. Et c’est exactement ce dont cette ville historique a cruellement besoin: qu’on la redécouvre, qu’on lui rende la place qu’elle mérite, qu’on y construise des musées, des cinémas, des théâtres, des routes, des infrastructures et que les jeunes y jouent un rôle important. C’est le devoir de tout tunisien.

*Travée: il s’agit d’une ouverture délimitée par deux supports verticaux constituant les points d’appuis principaux ou les pièces maîtresses d’une construction (piliers, colonnes, arcs, fermes, poutres, etc.).

**Nef: c’est une salle oblongue qui accueille les fidèles pour la prière.


Source : La Sultane #32


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Par Firas Messaoudi