La Tunisie, pays méditerranéen par excellence, est réputée pour son huile d’olive, ses dattes mais aussi son vin. Elle a également donné à l’humanité l’un des plus grands théoriciens ayant grandement médité sur l’agriculture: Magon. Magon ? La première chose qui vient à l’esprit de bon nombre de tunisiens est bien évidemment le vin, pensant que ce n’est rien de plus qu’une énième marque de rouge ou de blanc.
À tort, car Magon était bien plus que cela. En effet, c’était un érudit carthaginois qui rédigea un important traité sur l’agriculture en langue punique. Traité qui fut l’une des sources les plus importantes sur le sujet et ce pendant plusieurs siècles. Un texte dont l’importance dans l’Antiquité est tel qu’il fut, sur ordre du Sénat romain, après la destruction de Carthage en 146 avant Jésus Christ, le seul ouvrage que les romains ramenèrent à Rome.
Son Encyclopédie agricole en 28 livres aurait été traduite du punique en latin sous la direction de Decimus Silanus, par une commission juste après la prise et la destruction de Carthage par les Romains. Elle fut ensuite traduite en grec au début du 1er siècle avant J-C et diffusée ensuite dans le monde antique par le biais des traités en grec ancien que rédigèrent Cassius Dionysus d’Utique au IIe siècle avant J-C et Diophane de Nicée au Ier siècle avant J-C.
Malheureusement, l’œuvre originale de Magon est perdue ainsi que ses premières traductions. Son œuvre est connue grâce aux auteurs romains qui avaient pour lui une grande estime comme Pline l’Ancien, Varron, Columelle ainsi que par la compilation en grec Geoponica.
En outre Magon, sur lequel nous avons très peu de données, a expérimenté et perfectionné certaines disciplines comme la viticulture, la vinification, l’apiculture ou encore l’élevage.
Magon le carthaginois
Ecrivant en langue punique, Magon le carthaginois a embrassé des sujets divers en 28 livres que Cassius Dionysius d’Utique a traduit en langue grecque. Pour beaucoup de spécialistes, cela ne fait aucun doute, Magon est le père de l’agronomie. Il fut probablement le plus grand agronome de l’ère hellénistique.
Il fut traduit en vertu d’un décret du sénat donc et son œuvre est connue par fragments. L’Afrique punique comprenait deux zones distinctes auxquelles convenaient des cultures et des modes d’exploitation différents. Au plus loin la Lybie, c’est à dire les grandes plaines du bassin de la Majerda et de l’oued Miliane, étaient des terres à blé cultivées par les indigènes moyennant une redevance en nature.
Mais autour de Carthage, son territoire proprement dit, soit la partie occidentale du haut Tell, la basse vallée de la Majerda, le cap bon, la partie septentrionale du Sahel, étaient le domaine proprement agricole d’où Carthage tirait tout ce qui était nécessaire à sa subsistance et où de riches propriétaires pratiquaient intensément, avec une abondante main d’œuvre servile, l’arboriculture et l’élevage.
C’est de cette zone que traitait Magon dans son ouvrage. Des 66 fragments qui nous sont parvenus, un seul concerne le blé. Et encore, il ne s’agit pas de la culture du blé mais du pillage après la moisson d’un blé qui pouvait devenir des grandes plaines.
Mais dix fragments concernent la plantation de la vigne et les soins à lui donner. D’autres fragments étaient dédiés à la culture de l’olivier, de l’amandier, du grenadier, du figuier, des plantes à fleurs, glaïeuls, et asphodèles.
Dix fragments consacrés à l’élevage du bétail et des chevaux. Quatre à l’apiculture… Carthage sera détruite et rasée en 146 avant Jésus christ.
Savoir-faire
Voici un extrait tiré d’un fragment de Magon tel que rapporté par Pline : «Parmi les arbres qui croissent à partir de graines, Magon traite avec minutie de ceux de la famille des « noix » (nucibus).
Il dit que les amandes doivent être plantées dans un sol d’argile doux exposé au sud, que cela fonctionne aussi dans un sol dur, chaud, mais pas dans un sol humide. Il recommande de planter les amandes qui ressemblent le plus à des faucilles que l’on aura cueillies sur un jeune amandier ; de les laisser baigner trois jours dans du purin dilué ou bien un jour avant de les planter dans de l’eau adoucie avec du miel ; de les placer dans le sol avec la pointe vers le bas et le côté le plus effilé orienté vers le nord-est ; elles devraient être plantées par groupe de trois en les espaçant d’une paume (~10 cm) en formant un triangle ; et elles doivent être arrosées tous les dix jours jusqu’à ce qu’elles commencent à grossir… Magon nous dit aussi de planter les amandes entre le jour le plus court et le lever d’Arcturus et de ne pas planter tous les types de poires en même temps car elles ne fleurissent pas à la même époque. Il dit que celles avec des fruits oblongs ou ronds devraient être plantées entre le coucher des Pléiades et le jour le plus court, mais les autres vers la mi-hiver après le coucher du Sagittaire en étant exposé à l’est ou au nord. »
« Quant à la méthode pour piler les céréales, il faut mettre en avant l’avis de Magon, il dit que le blé (triticum) doit être au préalable trempé dans de l’eau, puis on doit lui ôter sa balle et enfin le faire sécher au soleil avant de le piler finement dans un mortier. Quant à l’orge (hordeum), il doit être traité de la même façon, vingt mesures seront humidifiées avec deux mesures d’eau. »
Potentiel touristique
La Tunisie pourrait tirer profit du nom et de l’héritage de Magon bien plus encore. En témoigne un circuit dénommé Circuit Magon proposé dans le cadre de la diversification de l’offre touristique et du tourisme alternatif. Cofinancé par l’Union européenne et ce dans le cadre du programme de Coopération transfrontalière Italie-Tunisie 2007-2013, ce projet atypique prône un tourisme alternatif, un tourisme qui n’a rien à avoir avec le tourisme habituel.
L’idée est née à l’issue d’un partenariat entre la Chambre nationale des producteurs de vin qui relève de l’Utica et l’association italienne Strada del Vino.
Il s’agit de la réalisation d’un circuit touristique culturel qui s’étend sur 120 km, mettant en valeur la culture du vin, en association avec la cave UCCV de Kelibia, le musée de Nabeul, le site de Nepheris (près de Tunis), le domaine éponyme et le musée de Carthage en relation avec la cave de l’UCCV de Mégrine.
Mohamed Ben Chikh, le président de la Chambre nationale des producteurs de vin a rappelé lors d’un colloque international intitulé « Magon : le chemin de la vigne méditerranéenne sur les traces de Magon entre la Sicile et la Tunisie », a rappelé que ce projet est capable d’attirer une nouvelle gamme de touristes, à savoir les touristes qui s’intéressent à la culture, au patrimoine et notamment à la culture du vin.
Des spécialistes de la question estiment même que les retombées économiques seraient colossales puisque certains touristes n’hésiteraient pas à dépenser d’importantes sommes d’argent pour faire le tour des circuits et des routes du vin, visitant également les musées, les sites archéologiques et les caves pour des dégustations.
Des touristes originaires de France, d’Italie, d’Allemagne, d’Angleterre et des pays scandinaves.
Un itinéraire qui s’étend sur 120 km entre Kerkouane, Nabeul, Kélibia, Bardo et Carthage.
Un itinéraire qui s’inscrit dans le cadre d’« Iter vitris les chemins de la vigne», reconnu par le Conseil d’Europe qui se fonde sur l’histoire et la culture de la vigne.
Mohamed Fanter, historien et universitaire tunisien spécialiste de Carthage déclare : « La Tunisie a aujourd’hui récupéré Magon. Tout est dit !
Écrit Par : Firas Masooudi