« Ma poulette », « cocotte », « tu es encore enceinte ? » Ces petites phrases du quotidien cachent une réalité plus sombre qu’il n’y paraît. Hager Karoui, fondatrice du groupe Facebook « Sayeb Salha » – une adaptation tunisienne de l’expression « fous-lui la paix » déclinée au féminin – nous aide à décrypter ce fléau silencieux qui gangrène encore trop souvent nos environnements professionnels et personnels.
Qu’est-ce que le sexisme ordinaire exactement ?
Le sexisme ordinaire se manifeste par des attitudes, des propos et des comportements qui décrédibilisent ou infériorisent les femmes. Cette forme de discrimination crée un traitement différencié entre personnes pourtant dans une situation identique.
Les manifestations du sexisme au quotidien
Dans le monde professionnel, le sexisme ordinaire prend mille visages. Cela commence par des surnoms infantilisants comme « ma poulette » et s’étend jusqu’à l’exclusion de missions importantes ou l’ignorance systématique en réunion. La difficulté ? Prouver qu’un dossier nous a échappé à cause de notre genre relève souvent du parcours du combattant.
Cette discrimination s’enracine dès l’enfance. Les stéréotypes persistent : poupées roses pour les filles, pistolets bleus pour les garçons. Les manuels scolaires perpétuent ces clichés en associant cuisine et femmes, médecine et hommes.
Des chiffres qui parlent
Les statistiques révèlent l’ampleur du phénomène. En Tunisie, les femmes représentent 60% des diplômés universitaires mais seulement 24,6% de la population active. Le taux de chômage féminin atteint 20,1% contre 12,9% pour les hommes, et grimpe à 30,8% chez les femmes diplômées du supérieur contre 15,7% chez leurs homologues masculins.
Au niveau international, 77% des femmes salariées sont régulièrement confrontées à des attitudes ou décisions sexistes au travail selon le baromètre 2025 du sexisme ordinaire. Plus alarmant encore : une femme sur deux a déjà vu ses compétences remises en question à cause de son genre.
Au Maroc voisin, 44% des femmes ont été exposées à des comportements de harcèlement sexuel ou à de petites agressions professionnelles, mais seulement 59% des victimes ont signalé ces incidents à leur employeur. 15% des femmes actives ont vécu une forme de violence au travail, ce pourcentage grimpant à 22% chez les femmes divorcées et 21% chez les travailleuses journalières.
Même si la mixité existe depuis l’indépendance et que l’école reste obligatoire pour tous, les disparités persistent. Le taux de scolarisation des filles tunisiennes est passé de 49% en 1975 à 99% en 2012, mais après le baccalauréat, 74% des élèves de filière littéraire sont des filles contre seulement 30% en filière scientifique.
Comment lutter contre le sexisme en entreprise ?
Un constat régional accablant
Les statistiques maghrébines et africaines confirment cette tendance préoccupante. En Tunisie, selon les données 2022 de l’Institut national des statistiques, le taux de chômage des femmes diplômées du supérieur grimpe à 30,8%, contre 15,7% chez les hommes. Malgré leurs résultats universitaires, les jeunes femmes pâtissent d’une faible intégration dans la vie économique.
Au Maroc, une enquête nationale du Haut Commissariat au Plan en 2019 révèle que 15% des femmes actives ont vécu une forme de violence au travail. Le pourcentage s’élève à 22% chez les femmes divorcées et 21% chez les travailleuses journalières. Plus de 41% des cas de harcèlement sexuel proviennent de supérieurs hiérarchiques, tandis que 29% émanent de collègues.
À l’échelle mondiale, 77% des femmes salariées sont régulièrement confrontées à des attitudes ou décisions sexistes au travail selon le baromètre 2025. Plus d’une personne sur cinq (22,8%) ayant un emploi a subi de la violence ou du harcèlement au travail, révèle la première enquête mondiale de l’OIT.
Des solutions concrètes à mettre en place
La lutte contre le sexisme ordinaire nécessite une approche globale :
Application du principe de tolérance zéro avec sanctions systématiques des comportements répréhensibles. Cette politique doit être visible : afficher l’engagement dans le hall d’accueil, communiquer sur les cas traités et leurs suites.
Formation obligatoire pour tout nouveau collaborateur. Chacun doit comprendre ce qu’est le sexisme et ses conséquences concrètes. Il faut déconstruire l’idée que certains agissements sont « anodins ».
Création d’un climat bienveillant permettant à chacun d’aborder le sujet, avec accompagnement psychologique si nécessaire.
Les femmes peuvent-elles être sexistes ?
Absolument ! Le sexisme n’appartient pas exclusivement aux hommes. Les femmes véhiculent aussi des stéréotypes sexistes contre leurs consœurs. Selon les données du baromètre #StOpE, 33% des actes sexistes sont perçus comme émanant autant des femmes que des hommes.
Cette réalité s’observe particulièrement en Tunisie où, malgré des avancées juridiques exceptionnelles avec le Code du statut personnel, les mentalités évoluent plus lentement. Les femmes en position de pouvoir peuvent parfois reproduire les schémas de domination qu’elles ont elles-mêmes subis.
La rivalité féminine en entreprise génère parfois une lutte de pouvoir qui s’exprime par des propos ou actes sexistes. Cette compétition entre femmes s’explique souvent par la rareté des postes à responsabilité qui leur sont accessibles.
Sexisme inconscient : mythe ou réalité ?
Contrairement aux idées reçues, le sexisme ordinaire cache toujours une intention de nuire. Tenir des propos ou adopter une attitude sexiste vise à blesser et différencier l’autre. Les femmes le ressentent instinctivement.
Cette souffrance particulière naît de la difficulté à identifier l’agression et à y répondre appropriéement. L’atteinte porte sur le sexe, non sur les compétences ou la personnalité.
Galanterie ou sexisme : où placer la frontière ?
Une distinction subtile mais essentielle
Le sexisme érige la différence de sexe en jugement négatif sur l’intelligence et les compétences. La galanterie relève de la séduction respectueuse.
La différence ? La séduction authentique se joue à deux, dans un dialogue bilatéral. L’humour ou la séduction sexistes s’imposent sans laisser la possibilité de répondre.
Complimenter une tenue peut être agréable et flatteur si cela permet un échange équilibré. Tenir la porte exprime du respect. Payer l’addition relève des codes de séduction, à condition de ne pas instrumentaliser ces différences pour établir un rapport de domination.
Comment réagir face au sexisme ordinaire ?
Deux stratégies : l’affrontement et la confrontation
L’affrontement (à éviter) : répliquer du tac au tac, pleurer ou quitter la pièce. Cette réaction entraîne un effet boomerang et une escalade sans issue.
La confrontation (recommandée) : se placer « à côté » plutôt qu’en face. Utiliser le « je » pour exprimer son ressenti : « Je suis triste quand tu ne reconnais pas mon travail » ou « Ce genre de propos pénalise notre relation professionnelle ».
La technique des 24 heures
Face à un acte sexiste blessant, laissez passer la nuit pour vous calmer et mieux verbaliser. Parlez-en à une personne de confiance pour éviter la surinterprétation. Le lendemain, tentez la confrontation constructive.
Attention cependant : certains hommes resteront sourds à ces revendications malgré tous vos efforts.
Quel rôle pour les pouvoirs publics ?
La lutte institutionnelle contre le sexisme ordinaire passe par plusieurs axes :
- Visibilité statistique : Intégrer ces questions dans les grandes enquêtes nationales. En Tunisie, le classement en matière d’égalité de genre a chuté du 90ème au 124ème rang mondial entre 2006 et 2020 selon le Global Gender Gap Report.
- Définition juridique : Créer des groupes de travail pour mieux qualifier juridiquement le sexisme. Les pays du Maghreb progressent : le Maroc a adopté la loi 103-13 en 2018 contre le harcèlement dans les espaces publics.
- Sensibilisation entreprises : Développer les recours et former les acteurs économiques. Au niveau mondial, seulement 2,9% des entreprises tunisiennes ont un capital à majorité féminine.
- Voies d’expression : Multiplier les recours via DRH, supérieurs hiérarchiques, psychologues et référents dédiés.
Vers des relations apaisées
L’objectif n’est pas de créer des relations aseptisées entre hommes et femmes. Il faut maintenir les codes amoureux et de séduction, tout en bannissant ce qui ramène les femmes à un prétendu manque de compétence lié à leur sexe.
Le groupe « Sayeb Salha » d’Hager Karoui se distingue du mouvement « Ena Zeda » (le Me Too tunisien) par son approche spécifique : dénoncer le sexisme ordinaire et le patriarcat dans toutes ses manifestations quotidiennes. Cette initiative tunisienne illustre parfaitement la nécessité de nommer et combattre ces violences symboliques.
Le sexisme ordinaire n’a rien d’anodin. Reconnaître ses manifestations constitue le premier pas vers des relations professionnelles et personnelles plus équilibrées. Car derrière chaque « ma poulette » se cache une violence symbolique qu’il est temps de déconstruire.
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Originally posted 2020-09-15 09:00:00.