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Hager Karoui : Une voix contre le sexisme ordinaire

Hager Karoui porte de nombreuses casquettes avec brio. Son parcours riche et inspirant trouve aujourd’hui une nouvelle dimension à travers l’administration du groupe Facebook « Sayeb Salha ». Cette communauté « défend les femmes contre les insultes sexistes, notamment dans l’espace public, les médias et la publicité ».

Un parcours médical et littéraire accompli

De la médecine à l’écriture

Mère de trois filles et désormais à la retraite, Hager Karoui détient un doctorat en médecine de la faculté de Lyon. Après plus de 30 ans consacrés aux soins pédiatriques, elle signe son premier livre « Chroniques des années cactus ». Dans cet ouvrage, elle brosse une puissante fresque de la société tunisienne durant une période historique particulièrement tourmentée. Elle fait participer le lecteur à la vie quotidienne d’une famille bourgeoise tunisoise.

Une nouvelle œuvre engagée

Elle vient d’achever la rédaction d’un second livre : « Fatima, l’héritière controversée ». Cette histoire romancée retrace la brève vie de la fille du prophète Mohamed, telle que la suggèrent les hadiths sunnites et chiites souvent contradictoires.

« Un exemple classique de violences familiales perpétrées par l’ombrageux Omar Ibn al Khattab. Particulièrement peu connu pour sa délicatesse envers les femmes », précise-t-elle.

L’idée germe grâce à « Les derniers jours de Muhammad », écrit par l’universitaire tunisienne Hela Ouardi. Hager Karoui a « eu à cœur de lever le voile sur les circonstances de l’existence tragique volontairement occultée par les musulmans sunnites de cette héritière encombrante qui a été assassinée, selon les chiites. »

Naissance de Sayeb Salha : réponse au sexisme

Dans le sillage de #MeToo

L’affaire Weinstein d’octobre 2017 déclenche une onde de choc mondiale. Le hashtag #MeToo, créé dix ans plus tôt par la militante féministe américaine Tarana Burke, libère la parole des victimes d’agressions et de harcèlement sexuels. Ce mouvement prend rapidement une dimension virale sur les réseaux sociaux.

Sa version francophone #BalanceTonPorc brise l’omerta et recueille des témoignages allant du sexisme quotidien au harcèlement de rue, jusqu’aux agressions sexuelles. Ce site permet aux victimes de poster anonymement leur témoignage et d’échanger ensemble.

« Avec ces deux mouvements, les femmes ont tout mis sur la table : du plus banal au plus grave, toutes les manifestations du patriarcat sont dénoncées. L’objectif est que la peur change de camp. »

Le contexte tunisien

Trois ans après, le bilan révèle une parole libérée, mieux écoutée. Mais « la conversation générale lancée dans toute la société est loin d’être terminée. »

#EnaZeda, le #MeToo tunisien, naît suite à une affaire de harcèlement sexuel impliquant un député de Qalb Tounis. Il déclenche un vaste mouvement de libération de la parole sur les réseaux sociaux du pays.

L’origine du groupe

La naissance de Sayeb Salha trouve son origine dans « l’infecte campagne de dénigrement dont ont fait l’objet les deux femmes tunisiennes prétendant à la magistrature suprême : Abir Moussi et Selma Elloumi. »

Hager Karoui observe : « Notre démocratie est balbutiante. Et nous apprenons le droit à vivre libre, mais tous les arguments ne sont pas légitimes. »

Le combat quotidien contre le sexisme

Un fléau omniprésent

« Tous les jours, les Tunisiennes, qu’elles soient femmes publiques ou anonymes, sont attaquées dans leur dignité. Elles courent le risque d’être suspectées d’avoir ‘couché’ si elles bénéficient d’une promotion professionnelle ou d’être traitées de ‘pute’ quand leur look vestimentaire ne convient pas à certains. »

Le groupe prône : « Les critiques oui, mais pas les représentations réductrices et généralisantes ! »

Objectifs et méthodes

Sayeb Salha aspire à élaborer un réseau de vigilance contre le sexisme dans le langage ordinaire. Cette surveillance concerne les milieux professionnels (journalisme, enseignement, médical), les images et publicités sexistes qui persistent, notamment celles relatives aux lessives ou aux automobiles.

Le groupe s’élève contre les injures sexistes criées à tout propos et les allusions sexuelles utilisées comme argumentation. « Terrain fertile pour la discrimination et le harcèlement, le sexisme doit être signalé et dénoncé à tous les niveaux, national comme international. »

La stratégie inclut la capture d’écran des propos sexistes d’amis Facebook. Comme le soulignait la journaliste militante féministe française Benoîte Groult : « Le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours. »

Figures inspirantes du féminisme

Deux personnalités marquantes

Hager Karoui identifie deux figures qui ont « bousculé les mentalités et sont les principales incarnations du féminisme. »

Le président Habib Bourguiba et son célèbre Code du statut personnel tunisien, qui régit marriage, divorce et héritage. « Ce code est époustouflant à plusieurs titres, car contrairement aux réformes dans d’autres pays de la région, il s’écarte considérablement de certaines traditions juridiques islamiques : polygamie, marriage des enfants, marriage forcé et répudiation. »

Simone Veil, l’éminente politicienne française, pionnière des droits des femmes qui dirigea la campagne pour légaliser l’avortement en France. « C’est la personne la plus responsable de l’avancement des droits juridiques des femmes au cours du XXe siècle. »

Vision et espoirs pour l’avenir

Dépasser les réticences

« Même si nous sommes frileuses à nous impliquer dans le travail associatif, chacune de nous à son niveau peut faire avancer les choses sans déployer une grande énergie. Il suffit de dénoncer le sexisme qui sévit sur les réseaux sociaux, au travail, dans le cadre familial, les médias, la publicité. »

L’objectif consiste à « alerter et réveiller les consciences afin de lutter contre le sexisme banalisé qui se tapit partout. »

Les obstacles à surmonter

Hager Karoui identifie les difficultés des Tunisiennes à témoigner du harcèlement quotidien. « Le langage accessible pour parler de ces traumatismes et mauvaises expériences fait défaut. Masturbation, pénis, pénétration sont des termes ‘grossiers’, obscènes souvent bannis du lexique familial qu’aucune femme de bonne vertu ne doit prononcer. »

Par ailleurs, « les textes légaux entretiennent un flou en préconisant la ‘pudeur’ et les ‘bonnes mœurs’. » Ces « termes imprécis » ouvrent la porte aux interprétations abusives.

L’appel à la solidarité féminine

Son espoir repose sur une mobilisation collective : « Que les femmes se mettent en ordre de bataille pour organiser une solidarité au féminin, transgénérationnelle et surtout transpartisane. »

Elle analyse : « La solidarité masculine est le rempart du patriarcat. Elle a réussi à diviser les femmes et créer une concurrence entre elles. »

La solution : « Avec un peu de bienveillance, les femmes peuvent se rassembler pour échanger et trouver des solutions vers la parité, car elles connaissent les mêmes difficultés de parcours et expériences. »

Lectures et influences

Un livre marquant

« Le livre qui m’a bouleversée et que je relis régulièrement est ‘Via Mala’ de John Knittel publié en 1934. C’est l’histoire d’un parricide collectif qui ébranle l’impartialité du juge chargé de l’enquête. »

Elle découvre actuellement « Le voile sur le divan » du Professeur Saida Douki co-écrit avec le docteur Hager Karray.

Conseil à la jeunesse

Ne jamais tolérer l’irrespect

« Mon avertissement : ne jamais laisser s’installer l’irrespect. C’est la porte ouverte à toutes les dérives. »

Elle cite Gisèle Halimi : « Ne laissez rien passer dans les gestes, le langage, les situations, qui attentent à votre dignité. 100% des femmes ont été victimes au moins une fois de comportement sexiste ou d’agression sexuelle. »

Sensibiliser au sexisme banalisé

« Il faut sensibiliser les jeunes femmes au sexisme banalisé. Toute fille a le droit de dire ‘cela ne me convient pas’. »

Elle dénonce les appellations apparemment anodines : « Cela peut paraître anodin d’appeler une salariée ‘ma petite’, tahfouna, aroussa, et pourtant ces propos s’ancrent dans un rapport de force paternaliste. »

Ces interpellations familières sont « perçues par 58% des femmes comme inappropriées. Donc la remarque peut être à la fois gentille et déplacée. C’est un sexisme sournois qui marginalise la femme de façon insidieuse. »

Hager Karoui incarne cette génération de femmes qui transforment leur expérience professionnelle en combat sociétal. À travers Sayeb Salha et ses écrits, elle construit un pont entre réflexion intellectuelle et action concrète. Son message résonne : l’émancipation féminine sera l’œuvre des femmes elles-mêmes, dans la solidarité et la bienveillance mutuelle.


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