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images (20)Djerba, l’île des rêves, a vu le village d’Erriadh se transformer en un véritable musée à ciel ouvert, dont l’inauguration a eu lieu le 20 Septembre 2014. 150 artistes de 30 nationalités différentes, se sont affairés à marquer le temps. Les mois de Juillet et Août 2014 ont ainsi vu un rêve se réaliser… celui de Mehdi Ben Cheikh, fondateur de la galerie Itinérance et initiateur de ce projet.

Mehdi Ben Cheikh, parlez nous un peu de vous…

J’ai fait des études à la Sorbonne à Paris I en Arts Plastiques. J’étais prof en cette matière pendant 8 ans. J’ai vécu mes 20 premières années en Tunisie et je vis à Paris depuis 20 ans. Donc voilà, j’ai fait vraiment moitié, moitié. Ma mère est française, mon père est tunisien, donc là aussi c’est moitié moitié. Après qu’on ait réalisé le projet de la tour Paris 13, qui a été l’évènement culturel le plus médiatisé de l’année 2013, J’ai voulu trouver un concept pour réussir à transiter toute cette médiatisation sur la Tunisie. Djerbahood est un concept unique, qui n’a jamais été fait ailleurs dans le monde. La nature du mouvement street art est respectée. Il conserve son aspect gratuit et ouvert à tous.

C’est un concept magnifique et pourtant peu de médias tunisiens en ont parlé…

On a eu 1800 articles sur la tour Paris 13 à travers le monde. À 15 jours du vernissage, nous en en sommes à plus de 500 articles dans le monde entier : Vogue, Le Nouvel Obs, Le Monde, The Guardian, et aujourd’hui La Sultane. Djerba semblait toute indiquée pour l’épanouissement du Street Art avec l’idée d’un musée à ciel ouvert qui réponde à des normes muséales avec un parcours, une idée d’ensemble, une scénographie et des règles. Bien entendu, nous ne faisons rien sans l’autorisation de chaque habitant.

Vous avez ouvert en 2004 à Paris, votre galerie, Itinérance, spécialisée dans le Street Art. Comment s’est fait votre adoption de ce mouvement?

J’ai ouvert la première galerie spécialisée dans le Street art, il y a 10 à une époque où ce n’était pas encore connu. Ce n’était pas encore « in », pas encore à la mode. Le Street Art était encore associé à du vandalisme. La majorité des galeristes sortent des écoles de commerce alors que je sors d’une école d’Art. J’ai fait de l’Histoire de l’Art. À mon sens, un galeriste n’est pas uniquement celui qui vend des œuvres d’Art. C’est aussi celui qui marque l’histoire, qui l’écrit quelque part, qui soutient un mouvement de la meilleure manière qui soit. Sentir un mouvement à ses débuts et l’accompagner et faire en sorte que ce mouvement écrive l’histoire. Donner les moyens à ce mouvement et lui permettre de s’exprimer, de connaître des temps forts, de marquer les gens, le temps et c’est ce qu’on est entrain de faire aujourd’hui. Il fallait juste se rendre compte au bon moment quel était le mouvement qui était entrain de tout retourner il y a déjà 10 ans. Et même 20 ans. C’était un mouvement qu’on ne voulait pas reconnaître mais c’est justement un des symptômes d’un grand mouvement. Le fait d’être rejeté par les institutions existantes. Tous les grands mouvements ont subi exactement la même chose. Avec les impressionnistes par exemple, il y a eu le salon des refusés, on ne considérait pas ça comme étant de l’art, que ce n’était pas des artistes. Un grand mouvement va employer d’autres codes qui va déranger les codes établis. Donc c’est normal. C’est un des symptômes et c’est tant mieux quand ça arrive et c’est tant mieux quand les institutions ont un, deux, trois trains de retard, ça fait partie des symptômes c’est aussi de marquer l’histoire, de l’écrire quelque part, de soutenir un mouvement de la meilleure manière qui soit.

Donc le Street Art a été le mouvement à soutenir?

Sentir un mouvement à ses débuts et l’accompagner et faire en sorte que ce mouvement écrive l’histoire est très gratifiant. Donner les moyens au Street Art   et lui permettre de s’exprimer, de connaître des temps forts, de marquer les gens et le temps aussi est excitant. Il fallait juste se rendre compte au bon moment quel était le mouvement qui était entrain d’ émerger pour la seconde fois comme il y a déjà 10 ans. Et même 20 ans. Le fait d’avoir été renié par les institutions existantes puis repris montre que c’était et que ça allait être un tournant dans le monde de l’Art, tout comme l’impressionnisme refusé alors dans les salons. Un grand mouvement va employer d’autres codes qui va déranger les codes établis puis va connaître par la suite, une fois reconnu, un grand essor.DOME-01-01-site-djerbahood

Vous avez eu du flair sur ce coup là…

C’est ma formation et comme je suis passionné d’Art et que j’ai grandi dans ce domaine car mes parents ont été tous deux profs pendant 40 ans aux Beaux art de Tunis, oui j’ai eu du flair.

C’était évident pour vous, mais ça ne l’était pas encore pour tout le monde il y a 10 ans encore…

Je pense que c’est pareil en économie. Il y a des personnes qui s’y connaissent tellement en économie qu’ils sont en mesure de prévoir un crash boursier avant qu’il n’arrive. Ils le voient. Tout est une question de lecture de ce qui se passe autour de soi. De tous les paramètres qu’on a sous la main et après qu’on les a, on se pose la question : Que peut-on peut faire avec en tant qu’individus, ou en tant que structure? Avoir une galerie est une aubaine car nous vendons mais nous accompagnons le mouvement également. Mes plus grandes références en la matière sont ceux qui ont marqué comme le cubisme, l’impressionnisme…

Le Street Art est aujourd’hui bien reconnu en Europe, mais ici en Tunisie, ça reste encore relativement nouveau.

Oui et c’est dommage. Depuis que je suis tout petit, ma mère m’emmenait à tous les vernissages. J’allais d’une expo à l’autre, d’une galerie à une autre, j’ai grandi avec des livres d’Histoire de l’Art pour les petits tels que Picasso pour les enfants, Paul Klee pour les enfants, etc…

J’ai constaté que tout ce qui se rapportait à ce monde si attrayant concernant les pays émergeants se contente de faire du mimétisme et garde 30 voir 40 ans de retard. On n’est pas dans la découverte ou dans la création pure et dure. On est sur des territoires déjà explorés et c’est ça qui est dommage.

Aujourd’hui le Street-Art, qui est international, grâce à internet envahit grâce à Djerbahood une de nos villes et aussi nos mentalités.

Concrètement, comment cela se passe-t-il?

Une personne peut créer une oeuvre sur un mur, dans un coin perdu. Il prend une photo de sa création, la poste sur internet et c’est la terre entière qui peut découvrir ce qu’il fait et plus il fait de belles pièces, plus les sites et blogs de Street-Art vont le repérer. Et il peut devenir une star internationale sur le net. Cette idée est aussi une aubaine promotionnelle pour notre chère Tunisie.

Donc mon but à partir de tout ça, c’est de créer une scène arabe du Street-Art, pas que tunisienne. J’ai donc soutenu El Seed, Chouf, Dabrou… qui sont des gens sur le marché international. Aujourd’hui El Seed, que peu de gens connaissaient il y a 4 ans, est considéré comme étant le plus grand artiste du monde arabe. Mon but est qu’on ne pense plus à lui entant qu’artiste tunisien, mais qu’on dise juste El Seed l’artiste. Après tout, quand on regarde le travail de Murakami, on ne parle pas de Murakami l’artiste japonais. Il faut arriver à faire la même chose avec nos talents. Nous avons 13 écoles des Beaux arts en Tunisie et le marché de l’art est quasiment inexistant. C’est presqu’inadmissible. Il faut bousculer les mentalités et faire bouger les choses.

Où classez-vous la Tunisie? A-t-elle cette ouverture d’esprit pour accepter et participer à ce mouvement?

Ce qui est indéniable est que nous conservons un peu d’avance sur le reste des pays arabes. Le Maroc serait un bon exemple à suivre dans la mesure où le marché de l’Art se porte mieux au Maroc, alors qu’ils ont simplement 3 écoles des Beaux arts. Il faut donc juste arrêter de se plaindre et penser qu’il faut être dans un pays européen pour faire quelque chose. Grâce à internet, on peut être en Tunisie et participer à un mouvement international, en temps réel. Il est important que les gens comprennent cela. Il y a un mouvement qui est juste en train de passer sous nos yeux et la Tunisie peut avoir sa place dans l’Histoire de l’Art à condition qu’elle le veuille. Il n’est pas nécessaire d’être à Paris ou New York, on peut le faire à partir de notre beau pays.

Pensez-vous que Djerbahood puisse faire naitre des vocations chez les jeunes tunisiens?

Non, il ne s’agit pas de faire naître des vocations chez les jeunes de 10 ans. C’est juste d’encourager les artistes tunisiens à suivre un mouvement international et à y participer.

Comment votre projet a-t-il été perçu par les habitants du village ?

Je dirai que les réactions étaient positives. Pour les gens on ne parlait même pas de Street-Art. Ils voyaient juste des artistes point barre. C’est de l’art contemporain, de l’Art actuel, ce qui se fait aujourd’hui. Au début, il y avait une certaine réticence, mais dès qu’ils ont vu les premières interventions, les premiers résultats, ils ont été rassurés.

Avez-vous prévu autre chose en Tunisie ?

Une fois que nous aurons fini l’inauguration du projet Djerbahood, nous avons une action à faire à Tunis avec El Seed, mais je n’en dirai pas plus pour le moment. Ça sera une surprise. C’est aujourd’hui qu’il faut bouger en Tunisie, il ne faut pas attendre que ça se fasse tout seul et que celui qui a quelque chose à donner bouge pour essayer de faire avancer les choses.

 


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