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Un serment de haine éternelle

« Je jure qu’aussi longtemps que je vivrai, je demeurerai un ennemi de Rome. » Ces mots résonnent comme un écho au serment d’Hannibal. Jugurtha, roi des Numides, lance ce défi dans un contexte explosif que l’historien romain Salluste décrit avec précision.

Salluste, homme politique devenu gouverneur de Numidie sous César en 45 avant J.-C., témoigne dans La guerre de Jugurtha : « Je vais raconter la guerre que soutint le peuple romain contre Jugurtha, roi des Numides. D’abord parce que la lutte fut sévère et dure, que la victoire fut longtemps incertaine. Et puis parce qu’alors, pour la première fois, se marqua une résistance à la tyrannie de la noblesse. »

Cette guerre bouleverse tout. Elle transforme les discordes civiles en guerre ouverte et ravage l’Italie entière.

L’héritage de Masinissa

Un allié précieux de Rome

L’histoire commence avec Masinissa, roi des Numides pendant la deuxième guerre punique. Tandis qu’Hannibal terrorise l’Italie, Masinissa choisit Rome et s’allie à Scipion l’Africain. Son courage lui vaut une récompense exceptionnelle : après la chute de Carthage et la capture de Syphax, Rome lui offre toutes les villes et territoires conquis en Afrique.

La succession délicate

Cette alliance prospère jusqu’à la mort de Masinissa. Son fils Micipsa hérite alors du trône, ses deux frères Mastanabal et Gulussa ayant succombé à la maladie. Micipsa élève ses deux fils, Adherbal et Hiempsal, aux côtés de Jugurtha, fils de Mastanabal. Cependant, Jugurtha reste exclu du rang royal car sa mère était une concubine.

Le portrait d’un guerrier d’exception

Les talents du jeune prince

Salluste dresse un portrait saisissant du jeune prince : « Dès sa jeunesse, Jugurtha, fort, beau, surtout doué d’une vigoureuse intelligence, ne se laissa pas corrompre par le luxe et la mollesse. » Il excelle dans tous les arts numides : équitation, lancer de javelot, course. Infatigable chasseur, il abat lions et fauves mieux que quiconque. Pourtant, malgré sa supériorité, tous l’aiment car il agit plus qu’il ne parle.

L’inquiétude de Micipsa

Ces qualités réjouissent d’abord Micipsa, qui compte sur le courage de Jugurtha pour glorifier son règne. Mais l’inquiétude grandit rapidement. Le roi vieillit, ses fils restent jeunes, et Jugurtha gagne chaque jour en force et en influence.

« Tout troublé par ces faits, il roulait mille pensées dans son esprit », raconte Salluste. Micipsa redoute la soif de pouvoir naturelle chez les hommes. L’âge de ses fils offre une occasion parfaite à Jugurtha. L’amour des Numides pour ce prince illégitime alarme le roi, qui craint qu’un assassinat ne déclenche révolte ou guerre.

L’exil stratégique

Pour limiter cette influence grandissante, Micipsa envoie Jugurtha en Hispanie en 134 avant J.-C. Mission officielle : aider le général romain Scipion Émilien lors du siège de Numance. Cependant, cette stratégie se retourne contre Micipsa. Jugurtha tisse des liens étroits avec Scipion Émilien, protecteur héréditaire des Numides à Rome. Ce dernier convainc probablement Micipsa d’adopter Jugurtha en 120 avant J.-C.

L’ascension au pouvoir

Les origines du futur roi

Né vers 154 avant J.-C. à Cirta (actuelle Constantine en Algérie), Yugerten – son nom berbère signifie « il les a surpassés » – devient roi des Numides après un parcours mouvementé. D’abord grand allié de Rome pendant les guerres puniques, il reçoit même le titre prestigieux d’« ami de Rome ».

Le partage du royaume

Après la mort de Micipsa en 118, Jugurtha partage le trône avec Hiempsal et Adherbal, fils légitimes du défunt roi. Mais l’ambition l’emporte rapidement. Il fait assassiner Hiempsal puis attaque Adherbal, qui s’enfuit à Rome chercher protection. Le Sénat intervient et divise la Numidie : Adherbal obtient la partie orientale prospère, Jugurtha hérite de l’ouest moins développé.

La rupture avec Rome

L’attaque finale contre Adherbal

Cette solution ne satisfait pas Jugurtha. Confiant dans son influence romaine, il attaque de nouveau Adherbal en 112 avant J.-C. Il s’empare de Cirta, capitale d’Adherbal, et tue son rival. Durant ce siège, de nombreux marchands italiens périssent, ce qui provoque la colère de Rome.

Les manœuvres politiques

Le Sénat déclare la guerre, mais le consul Lucius Calpurnius Bestia conclut rapidement un traité généreux pour Jugurtha en 111. Convoqué à Rome pour s’expliquer, le prince numide reste muet face aux tribuns. Il fait alors assassiner Massiva, son cousin et rival potentiel au trône, puis s’enfuit de la capitale.

La guerre de résistance

Sept années de conflit

Rome supporte mal le massacre de ses citoyens et craint qu’un royaume numide fort et uni menace ses intérêts. En 110 avant J.-C., la bataille de Suthul voit les troupes de Jugurtha écraser l’armée romaine. Cette victoire marque le début d’une résistance acharnée qui durera sept ans, de 111 à 105 avant J.-C.

Les divisions romaines

Le conflit divise Rome. Les optimates souhaitent préserver l’indépendance numide, tandis que les populares considèrent la Numidie comme propriété du peuple romain. Cette guerre révèle aussi les premières fissures de la République romaine, préfigurant les guerres civiles futures.

La trahison finale

La capture par traîtrise

Face à l’impossibilité de vaincre militairement Jugurtha, Rome recourt à la traîtrise. En 105 avant J.-C., Bocchus, beau-père et allié de Jugurtha, le livre à Sylla moyennant corruption. Cette trahison met fin à la résistance numide.

Le nouveau partage

Rome réorganise alors la région : Bocchus reçoit la partie occidentale de la Numidie et le titre d’« ami de Rome ». Le reste demeure sous l’autorité de Gauda, fils légitime de Mastanabal, désormais vassal de Rome. Marius, réélu consul en 105, célèbre son triomphe à Rome.

Une mort dans l’oubli

Jugurtha meurt de faim vers 104 avant J.-C. dans la sinistre prison du Tullianum à Rome. Certains historiens débattent encore des circonstances de sa capture. Selon une version, les Romains abandonnent le siège par lassitude avant que Bocchus ne trahisse son gendre. Selon une autre, un soldat ligure cherchant des escargots découvre par hasard un passage secret permettant de prendre les Numides à revers.

Quoi qu’il en soit, ce roi berbère qui défia Rome pendant sept ans finit ses jours dans l’humiliation et la torture, loin de sa terre natale.

L’héritage d’un royaume

La géographie numide

La Numidie correspond grossièrement à l’Algérie actuelle. Ce royaume s’étendait de la Moulouia (qui la séparait de la Mauritanie) au ruisseau de Tabarka (frontière avec le territoire carthaginois). Au sud, les tribus gétules occupaient la région saharienne.

Un peuple de cavaliers

Les Numides tirent leur nom du mot « nomade » donné par les Grecs. Leur cavalerie excellente constituait leur principale force militaire. Ils ne connaissaient pas encore le chameau, introduit seulement à l’époque des Ptolémées, mais domestiquaient l’éléphant. Ils chassaient gazelles, ânes sauvages, autruches et lions, très nombreux alors.

Richesses et ressources

Leurs richesses provenaient de l’olivier, l’oranger, le ricin arborescent et le dattier. Plus tard, les marbres veinés de Numidie deviendront les plus prisés de l’Empire romain.

De Carthage à Rome

Initialement tributaires de Carthage, les Numides échouent dans leurs tentatives de libération et servent dans les armées puniques. L’intervention romaine dans la lutte entre Syphax (roi des Massésyliens) et Masinissa (roi des Massyliens) change la donne en 203 avant J.-C. Masinissa triomphe, unifie la Numidie et la transmet à son fils Micipsa en 148.

Ainsi s’achève l’épopée de Jugurtha, dernier grand roi berbère indépendant face à la puissance romaine montante. Son histoire illustre la résistance acharnée d’un peuple fier contre l’expansion impériale, préfigurant les luttes futures pour l’indépendance en Afrique du Nord.

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La Sultane #33


Originally posted 2020-07-23 11:48:24.

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