Cela fait 7 longues années* que les tunisiens attendent de voir le bout du tunnel mais rien ne vient. Aujourd’hui, six mois après les élections municipales et trois mois après la mise en place des conseils municipaux, nos villes et cités sont toujours aussi hideuses qu’insalubres.
Mouvements écolos? Mais d’abord un état des lieux
Une vidéo mise en ligne sur les réseaux sociaux il y a quelques jours a été massivement partagée. Elle a suscité moult réactions dénonçant la dégradation de nos villes et nos cités. En effet la vidéo en question est filmée à Lafayette au centre-ville de Tunis et montre des saletés et des amas d’ordures jonchant les trottoirs et la chaussée.
Après la publication de cette séquence, l’endroit en question a été rapidement nettoyé par les services de la municipalité et aussi paradoxal que cela puisse paraître, les habitants du quartier qui se sont rendus sur les lieux pour remarquer ce coup de lifting donné à ce coin de rue ont failli crier victoire. Sauf que quelques mètres plus loin ils ont été abasourdis de remarquer le même amas de saleté! Hic! En somme, le nettoyage effectué n’a ciblé que la partie filmée. L’intention était claire: essayer juste de faire croire que la vidéo est ancienne. Les mêmes méthodes de fuite en avant perdurent comme cette fâcheuse habitude de démentir une vérité pour jouer aux éternelles victimes et ce depuis 7 longues années.
Des chiffres qui donnent à réfléchir
Le problème est loin d’être l’apanage de Lafayette ou spécifique à un seul quartier ou une seule municipalité. Ces dernières se valent toutes tant la majorité de nos villes sont quasi invivables. D’ailleurs les chiffres parlent d’eux-mêmes: 2,7 millions de tonnes de déchets domestiques non recyclées et jetées dans la nature alors qu’elles représentent une véritable mine d’or. 68 pour cent de ces monticules de déchets sont des produits organiques et 11 pour cent sont du plastique. Ceci alors que les produits organiques en question peuvent servir d’énergie et le plastique peut être facilement réutilisé. Or ce n’est pas le cas et du coup c’est l’Allemagne qui importe cette marchandise. À titre d’exemple, le japon a zéro déchets. Des experts tunisiens tirent la sonnette d’alarme…
Faille générale
Au lendemain de la révolution, ce sont des délégations spéciales qui ont assuré l’intérim municipal. N’ayant ni les moyens ni les prérogatives requises pour entreprendre de grands chantiers, ces délégations n’arrivaient pas à assurer les tâches municipales. Les tunisiens ont donc été contraints de supporter des années d’environnement insalubre. Durant ces années, les élections municipales ont été reportées tellement de fois qu’on aurait cru qu’elles n’allaient jamais avoir lieu. Au mois de mai ce fut la délivrance. Les élections municipales ont fini par avoir lieu sauf qu’il fallait attendre trois mois supplémentaires pour que les conseils municipaux soient mis en place. Ces trois mois passés, les tunisiens s’attendaient tout naturellement à un embellissement de leurs villes et un assainissement de leur environnement. Mais entre leurs attentes et la réalité des choses, il y a tout un monde.
Rien n’a été fait si bien que nos villes sont toujours aussi sales, laides et hideuses. Mais au-delà de l’aspect inesthétique, c’est dans un environnement carrément insalubre que tunisiens et tunisiennes vivent. Cette atmosphère prépare le terrain à la prolifération des maladies. À quelques très rares exceptions près, la majorité des quartiers sont devenus infréquentables. De la saleté au déversement des détritus en passant par les odeurs nauséabondes nos rues ressemblent à des clichés pris dans des villes fantômes. Et le problème s’aggrave à chaque pluie torrentielle. Les égouts, non leurrés depuis belle lurette, s’obstruent et recrachent l’eau des pluies salies par les eaux usées et la boue.
Un véritable enjeu sanitaire
Tout ceci mène à la prolifération des insectes. L’invasion des moustiques et la propagation des maladies liées au manque de propreté ne font que prouver ce triste constat: virus du Nil, leishmaniose, hépatite A, menace de choléra et de dengue… les conditions actuelles sont propices à la propagation de maladies. Elles nous mettent face à une situation sanitaire alarmante. Les bactéries et autres microbes et virus trouvent un terrain de prolifération idéale dans la saleté. Et comme la propreté ne semble pas faire partie des priorités des municipalités, on s’oriente petit à petit vers un problème de santé publique.
C’est alors que la société civile entre en jeu et réagit. Des citoyens mais aussi des organisations non gouvernementales ou de simples associations décident de réagir en prenant les choses en main. S’il existe bien un sentiment général qui fait la quasi-unanimité des tunisiens, c’est bien celui de fed-up, «en avoir marre» en anglais. «Feddit!» lancent les tunisiens.
Prise de conscience écologique
Depuis janvier 2011, tout a l’air en stand-by. Les tunisiens ont patienté. Beaucoup. Ils se sont même armés d’espoir croyant à des jours meilleurs, mais chaque période post-électorale apporte son lot de déceptions. Au fil des années, ces déceptions s’enchaînent et se transforment en désespoir. Le comportement incivique, anarchique et révoltant des tunisiens rajoute une couche à cet état de désespoir général.
Le citoyen a en effet une grande part de responsabilité dans les dangers et les maladies qui nous guettent à cause des ordures. Mais de toute cette noirceur jaillit tout de même une lueur d’espoir: celle-ci est souvent de mise grâce aux membres de la société civile. En effet Mohamed Fakhri, un jeune activiste, a lancé une action de nettoyage dans la forêt de Gammarth. Le jeune homme est parvenu, à lui seul, à ramasser au moins 500 kilos d’ordures jetés un peu partout à travers la zone forestière.
Développement durable
Ce concept commence enfin à prendre un sens en Tunisie. Pour rappel le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. Et l’écologie politique au sens large repose sur trois piliers. Les institutions publiques, avec par exemple le ministère de l’environnement, les partis politiques et les associations. Il est clair que ces dernières jouent un rôle décisif dans l’émergence des questions environnementales dans la société, notamment parce qu’elles servent d’aiguillon aux deux autres forces en présence.
Un hic cependant: la population ignore leur existence, et plus de la moitié déclare ne pas entendre parler d’elles. Force est de constater que ce résultat constitue un bilan sévère pour ces associations surtout après environ vingt ans d’existence (elles existaient bien avant la révolution, le fameux Labib notamment). L’absence de ces associations du paysage local constitue en soi un fait paradoxal. De par leur rôle et leur éthique, ces associations sont censées être proches de la population pour comprendre ses problèmes environnementaux et les aider à les résoudre.
C’est d’ailleurs et non sans ironie, que certains les qualifient d’associations «décors» qui «n’existent que sur le papier» ou «qui ne sont jamais là quand on en a besoin». Le pire dans tout ça, c’est que ces associations ne font rien pour se faire connaître par le public. Et la police environnementale qui a récemment vu le jour n’a rien fait pour améliorer l’image de ceux qui se battent pour rendre notre société meilleure.
Les mouvements écolos ont-ils un avenir ici?
Peut-être assisterons-nous un jour enfin à la création d’un parti vert en Tunisie? Un parti politique écologiste qui adhère à la charte des Verts, ce fameux document établi et signé par 800 délégués des partis Verts de 70 pays au cours d’une première rencontre à Canberra en Australie en avril 2001. Les partis et mouvements politiques signataires s’engageaient alors à respecter certains principes comme protéger et rétablir l’intégrité des écosystèmes de la terre, en mettant l’accent sur la biodiversité et les processus naturels qui maintiennent la vie, reconnaître que tous les processus écologiques, sociaux et économiques sont interdépendants (le concept de développement durable donc), assurer l’équilibre entre les intérêts des individus et les intérêts communs, harmoniser libertés et responsabilités, favoriser la diversité dans l’unité…
Émergence d’une nouvelle conscience citoyenne responsable
En attendant ce jour, des citoyens se battent pour améliorer notre quotidien comme madame Saloua Ferjani professeure à l’École nationale d’architecture et d’urbanisme de Tunis qui milite au sein de la coalition pour la protection de la forêt de Radès. Citons également l’Association des amis du Belvédère ou encore des citoyens «ordinaires» qui ont décidés d’accomplir des choses extraordinaires comme Houssem Hamdi qui a effectué une énorme opération de nettoyage sur la plage de Gammarth en ramassant pas moins de 1775 bouteilles de bières et vins vides jetés dans la nature… et bien d’autres, hommes et femmes qui ont à cœur la protection de mère nature et de ses trésors.
Beaucoup de travail reste encore à faire certes, mais l’espoir est de mise.
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* Article paru dans La Sultane #40
Par Firas Messaoudi