Testour : Joyau andalou au cœur de la Tunisie
Testour se dresse à 77 kilomètres au sud-ouest de Tunis. Cette municipalité de 12 732 habitants rattachée au gouvernorat de Béja constitue le chef-lieu d’une délégation de 23 500 habitants. Bâtie au début du XVIIe siècle vers 1609, elle s’élève sur les rives de la Medjerda à l’emplacement de Tachilla, ancien village romain.
Après l’arrivée des Maures en Tunisie vers 1580, Testour devient l’une de leurs plus grandes cités. Sa Grande Mosquée érigée vers 1631, ses ruelles serpentines et ses maisons séculaires en font l’une des plus anciennes villes de Tunisie.
Les racines historiques de la ville
Un patrimoine redécouvert
Testour émerge comme l’une des destinations privilégiées du tourisme tunisien. Une excursion récente intitulée « Villes andalouses » a révélé aux participants les quartiers fondés par les Andalous : Mjez El Bab, Slouguia, Téboursouk et Testour.
L’Association Tunisienne des Études et des Recherches Urbaines (ATERU) organise cet événement. Cette association regroupe chercheurs, doctorants, universitaires, urbanistes, géographes, architectes et historiens de renom. Ils œuvrent pour faire connaître les richesses de notre patrimoine.
Ramla Hsaiti et Abdelhalim Koundi guident les visites. Ce dernier a même remis en marche l’horloge de la mosquée de Testour. Pour la modique somme de 30 dinars, chacun peut plonger dans le glorieux passé de cette ville du Maalouf et du ricotta.
L’exode andalou vers la Tunisie
Après la Reconquista, les rois catholiques chassent les Andalous d’Espagne. Ces Morescos trouvent refuge en Afrique du Nord. Les Espagnols de confession juive élisent domicile au Maroc, tandis que les Andalous musulmans s’éparpillent entre le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Ils apportent leurs us et coutumes, enrichissant la vie politique, culturelle et sociale des pays d’accueil.
L’histoire de cette émigration commence avant la chute de Grenade en 1492, bien qu’elle s’intensifie après cette date. Elle se prolonge sur deux siècles jusqu’à l’expulsion totale des Maures andalous de la péninsule ibérique en 1610.
L’accueil des autorités turques
Les autorités turques qui gouvernent alors la Tunisie accueillent ces populations à bras ouverts. Othman Dey et après lui Youssef Dey jugent cette population active et instruite. Ils favorisent son implantation dans la capitale et les régions du nord tunisien.
Parmi ces Maures, les Tagarins se détachent. Venus de Castille et d’Aragon, ils choisissent une région située à 76 kilomètres à l’ouest de Tunis. Cette région particulièrement fertile s’étale sur la rive droite de la Medjerda et se trouve sur la route reliant Tunis à l’Algérie.
Située sur les vestiges du village romain de Tachilla, Testour ne manque pas d’eau. Elle devient rapidement une grande plaine cultivée, entourée d’oliviers.
Le charme andalou authentique
Traditions et architecture préservées
Les archives et noms de familles attestent que pendant près d’un siècle et demi, les Testouriens continuent de parler espagnol. Ils observent certaines traditions comme la pratique de la corrida.
Ses ruelles pittoresques, ses maisons séculaires et les quartiers de la Rhiba, de la Hara et de Tagarin en font l’une des villes les plus anciennes de Tunisie. Elle conserve encore son cachet andalou dans ses habitations. Des tuiles parfaitement alignées couvrent les toits, tandis que les maisons comprennent étables et greniers.
Les pièces traditionnelles s’ouvrent sur un patio central orné d’un arbre majestueux. La place centrale frappe par sa beauté et sa disposition en carré typiquement espagnole.
Un témoignage architectural unique
En 1893, René Cagnat et Henri Saladin publient « Le voyage en Tunisie ». Ces savants chargés d’une mission archéologique par le ministère français décrivent la mosquée : « Le minaret s’élève devant nos fenêtres. Il se pare d’un revêtement de carreaux en faïence multicolores où dominent le blanc, le vert et le noir. Sur la tour carrée s’élève un toit pointu en tuiles, surmonté d’une flèche aiguë. Cette dernière repose sur trois boules superposées et se termine par un croissant. »
La Grande Mosquée : symbole architectural
Construction et implantation
Mohamed Targarino édifie la Grande Mosquée de Testour en 1630. Elle se situe au cœur de la ville, à l’intersection des grandes artères. Devenue le symbole de la cité, elle possède deux cours : la plus grande au nord, la seconde de moindre dimension au nord-est avec la salle d’ablutions.
La mosquée offre une synthèse inédite entre traditions locales et techniques hispano-mauresques. Le caractère sobre de l’édifice révèle une influence de l’art mudéjar. Des travaux d’agrandissement ont lieu au XVIIIe siècle.
Organisation architecturale remarquable
L’édifice se déploie sur un plan rectangulaire. La salle de prière assez large s’ouvre par six entrées. Elle s’organise en sept travées et neuf nefs perpendiculaires au mur de qibla, délimitées par des arcs reposant sur des colonnes.
La nef médiane correspondant à l’axe du mihrâb se distingue par deux coupoles sur pendentifs, selon la tradition ottomane.
Architecture fascinante et savoir-faire andalou
Le minaret exceptionnel
Au milieu de la grande cour trône un cadran solaire en marbre signé Ahmed al-Harrâr et daté de 1761. L’angle nord-est abrite le minaret, composé de deux tours superposées.
La tour inférieure adopte un plan carré, construite selon le procédé tolédan en matériaux mixtes. Le chaînage en briques s’accompagne d’un remplissage en moellons. La partie supérieure, de plan octogonal, se couronne d’un lanternon à toiture pyramidale en bois. Des baies géminées la percent, tandis que de riches revêtements de céramique et un cadran d’horloge la décorent.
L’allure du minaret évoque les clochers aragonais et ceux du sud de l’Espagne. La seconde cour à galerie hypostyle unique couverte déforme la régularité du plan côté nord-est.
Décoration andalouse raffinée
Le répertoire décoratif s’inspire de l’art andalou. Le décor géométrique, le plus répandu, présente diverses formes : losanges, hexagones, cercles, étoiles et rectangles. Les éléments floraux stylisés prennent forme de fleurs lancéolées, rosaces, feuilles rayonnantes autour d’un motif central, feuilles de palmier et branches de figuier.
Ces motifs ornent les coupoles, la niche inférieure du mihrâb et les panneaux de stuc. Des marques de maçon complètent cet ensemble décoratif.
Particularités uniques
Le minaret se pare d’étoiles de David, courantes dans les mosquées tunisiennes, les portes des maisons et les zaouïas. Cela suggère que la communauté juive andalouse s’intègre parfaitement et contribue à la construction du minaret.
Sous l’une des fenêtres s’incruste le cadran d’une horloge, particularité rare dans les minarets de cette époque. Les aiguilles tournent à l’envers et les chiffres s’orientent vers le centre.
Rayonnement culturel et renaissance
Ville du Malouf
Testour accueille depuis 1967 le festival international de malouf et de musique arabe traditionnelle. La ville connaît une vie religieuse intense avec d’illustres savants comme Ali Al-Coundi (mort en 1708) et Ibrahim Riahi (mort en 1850).
La transcription des manuscrits et la propagation des confréries mystiques comme la Issawia enrichissent son patrimoine. Cette confrérie conjugue dans les zaouïas le Malouf et la noria.
Renouveau contemporain
Ville du Maalouf, du fromage ricotta, des grenadiers, des abricotiers et des oliviers, Testour renoue petit à petit avec son prestige d’antan. Sa vocation agricole se renforce depuis 1982 grâce au barrage de Sidi Salem.
Aujourd’hui, une course de 16 kilomètres en musique baptisée « Jogg’art » permet de redécouvrir la ville sous un nouveau jour. Cette initiative révèle exactement ce dont cette cité historique a besoin : qu’on la redécouvre, qu’on lui rende sa place méritée.
Un avenir à construire
Testour mérite qu’on y construise des musées, des cinémas, des théâtres, des routes et des infrastructures modernes. Les jeunes doivent y jouer un rôle important. C’est le devoir de tout Tunisien de préserver et valoriser ce patrimoine exceptionnel.
Cette perle andalouse du nord tunisien attend sa renaissance. Elle possède tous les atouts pour devenir une destination touristique majeure, alliant histoire millénaire et modernité.
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Source : La Sultane #32
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Par Firas Messaoudi