2e guerre punique: ces batailles qui ont écrit l’Histoire
En 219 avant J.-C., Rome et Marseille s’immiscent dans les affaires de Sagonte et installent au pouvoir une faction hostile aux Carthaginois. Ces nouveaux dirigeants massacrent les alliés sagontins de Carthage. Le conflit qui en découle pousse Hannibal Barca, fils d’Hamilcar, à assiéger Sagonte jusqu’à sa chute.
Rome saisit cette opportunité pour exiger de Carthage qu’elle livre le jeune général de 29 ans, accusé d’avoir violé le traité de 226. Le sénat carthaginois refuse cette demande. Sagonte, située au sud de l’Èbre, n’était pas alliée à Rome lors de la signature de l’accord. Carthage accepte donc la déclaration de guerre romaine. La deuxième guerre punique commence.
Un stratège visionnaire révèle son génie
La manœuvre audacieuse : traverser les Alpes
Rome mise sur la supériorité indéniable de sa flotte navale et envisage de débarquer ses forces en Espagne et en Afrique. Hannibal conçoit alors une manœuvre audacieuse : porter la guerre en Italie par voie terrestre.
Il fait venir des troupes d’Afrique pour protéger l’Espagne d’une éventuelle attaque romaine. Ensuite, il dépêche de nombreux émissaires dans le monde celtique pour les inviter à joindre leurs forces aux siennes contre les Romains.
Au printemps 218 avant J.-C., il entame sa marche légendaire vers le nord de l’Italie à la tête d’une armée imposante : 50 000 fantassins, 9 000 cavaliers et 37 éléphants. La traversée des Alpes s’avère pénible. Hannibal débouche dans la vallée du Pô en septembre 218 avec une armée réduite à 20 000 fantassins, 6 000 cavaliers et 21 éléphants.
Les premières victoires en Italie du Nord
Le général carthaginois accepte cette difficulté pour réaliser son plan : s’attaquer à l’armée romaine au nord de l’Italie, là où Rome n’a pas encore consolidé son autorité.
Les Romains comprennent la gravité de la situation. Ils annulent l’expédition africaine et envoient des troupes en Espagne pour séparer Hannibal de ses réserves et lui couper les vivres. Ils essuient une première défaite à l’ouest du Tessin en décembre, puis sur la Trébie où ils perdent les trois quarts des forces engagées.
Fort de ces succès brillants qu’il exploite par une propagande intelligente, Hannibal rallie de nombreux Gaulois de Cisalpine. La deuxième guerre punique se joue effectivement sur plusieurs niveaux.
La bataille du lac Trasimène : un piège mortel
L’embuscade dans la brume
Les Romains cèdent la plaine du Pô au général carthaginois et décident de lui interdire l’accès à l’Italie centrale derrière la chaîne des Apennins. Hannibal éprouve beaucoup de difficultés à franchir cette chaîne où il perd de nombreux soldats et la quasi-totalité de ses éléphants. Il laisse l’armée romaine sur sa gauche et s’oriente vers Pérouse.
Les troupes ennemies, dirigées par le consul romain Gaius Flaminius, le poursuivent sans relâche. Elles campent dans le vallon du lac Trasimène. Le lendemain matin, le 21 juin 217 avant J.-C., l’armée romaine reprend sa formation de marche.
Hannibal profite de la brume qui couvre le paysage. Positionné en hauteur sur les flancs des collines, il lance l’assaut contre le convoi romain en l’attaquant de toutes parts. Désorientés, le consul romain et les gradés périssent en premier.
Un désastre militaire pour Rome
Les soldats et fantassins désorganisés tentent de fuir par le lac, s’y enlisent et y restent. Quelques-uns parviennent à s’échapper mais Hannibal les rattrape rapidement et les fait prisonniers. Il enchaîne les Romains et relâche leurs alliés.
Hannibal guerroie uniquement contre Rome et tient à ce qu’on le sache. Quelques fuyards rejoignent Rome et racontent leur défaite : 15 000 Romains et leur chef Flaminius trouvent la mort, 15 000 autres sont faits prisonniers. Hannibal perd près de 2 000 Gaulois de son côté. L’élite militaire romaine est décimée.
Le génie du grand stratège ne se limite pas au volet militaire. Il sait parfaitement utiliser les éléments topographiques et naturels dans ses actions. Il cherche à isoler Rome en ralliant les peuples qui lui sont soumis. Après chaque bataille, il libère tous les prisonniers italiens pour les détacher de la cause romaine.
La bataille de Cannes : chef-d’œuvre tactique
L’affrontement de deux stratégies
Rome adopte une tactique de temporisation. Elle harcèle l’armée punique tout en évitant les chocs frontaux. Mais en 216, deux nouveaux consuls sont élus.
Lucius Aemilius Paulus, dit Paul Émile, préfère poursuivre cette tactique d’épuisement tandis que Caius Terentius Varro, dit Varron, préfère l’affrontement. Le conflit fatigue la plèbe. Selon l’historien Polybe, Rome réunit un effectif imposant de 8 légions pour affronter les Puniques.
L’armée romaine compte 80 000 hommes. Hannibal dispose de moins de 50 000 hommes. Poursuivant ses pillages dans le sud de l’Italie, il s’empare à Cannes, petite ville d’Apulie aujourd’hui nommée Cannes della Battaglia, d’entrepôts de blé destinés au ravitaillement des troupes romaines.
La manœuvre d’encerclement parfaite
Le 2 août 216, la rencontre décisive entre les deux armées a lieu. Varron, commandant l’armée romaine, lui fait adopter une formation classique. Il prend la tête de l’aile gauche avec la cavalerie des alliés et confie l’aile droite à Paul Émile. Les légions romaines les plus expérimentées forment le noyau dur du centre, flanqué de part et d’autre par les légions alliées.
Hannibal met en place une stratégie audacieuse traduisant « sa volonté de mener une bataille d’encerclement et d’anéantissement » selon Yvan le Bohec. Il place l’infanterie gauloise au centre, face aux légions romaines, et la flanque de part et d’autre par l’infanterie lourde, son élite africaine qu’il commande personnellement.
Hannibal place la cavalerie des Ibères et des Gaulois, commandée par Hasdrubal, sur l’aile gauche et les Numides dirigés par Hannon sur l’aile droite. Il fait avancer l’infanterie gauloise, rapidement repoussée par les Romains qui lancent leur assaut. Les combats des cavaleries tournent rapidement à l’avantage des Puniques sur les ailes.
L’anéantissement de l’armée romaine
Hasdrubal anéantit la cavalerie romaine et apporte son renfort à Hannon, prenant de revers les cavaleries des alliés italiens. L’infanterie romaine tombe dans le piège d’un étau qui se referme impitoyablement sur elle. Au centre, les Gaulois reculent sans briser leurs rangs, permettant à l’infanterie lourde de les entourer progressivement sur la gauche et la droite par conversion. Les cavaliers qui ont battu les alliés italiens empêchent toute retraite et ferment totalement le piège. L’encerclement est parfait.
L’une des plus grandes armées jamais réunies par Rome est anéantie. Les sources diffèrent sur le nombre des survivants, mais les pertes s’élèvent à 45 000 morts et 20 000 prisonniers pour l’armée romaine. Seuls 15 000 hommes parviennent à s’échapper. La saignée touche les hauts magistrats et sénateurs romains, de nombreux tribuns militaires et anciens consuls. Paul Émile y périt. Varron parvient à s’échapper, tout comme un jeune soldat, Scipion, qui n’a pas encore obtenu son surnom d’Africain. Hannibal triomphant a perdu moins de 6 000 hommes, dont une majorité de Gaulois.
J. Carcopino décrit ainsi cette bataille dans son ouvrage « Profils de conquérants » : « Le résultat fut exactement celui qu’Hannibal avait prévu : en s’acharnant sur les Gaulois, les Romains s’étaient laissés envelopper par les Africains. Coincés entre les volets de la trappe que le Carthaginois leur avait insidieusement préparée, les légionnaires ne pouvaient plus lutter que par groupes incohérents. »
L’occasion manquée
Au lendemain de Cannes, Maharbal, l’un des seconds d’Hannibal, lui suggère de marcher sur Rome. Suite au refus du général, selon Tite Live, il lui fait ce reproche : « Les dieux n’ont pas tout donné au même homme ! Tu sais vaincre Hannibal, mais tu ne sais pas exploiter ta victoire. »
Certains historiens estiment qu’Hannibal avait des raisons valables pour ne pas tenter de donner à Rome son coup de grâce. Il n’était pas équipé pour un long siège et son armée se trouvait dans une région complètement hostile. Ses succès le couronnent de gloire et de nombreuses villes se rallient à lui. Seuls les renforts carthaginois tardent à arriver.
L’infériorité de la flotte punique et l’inaptitude de l’amiral Bomilcar empêchent de nouvelles troupes de Carthage et de son allié Philippe V de Macédoine d’arriver en Italie. L’influence carthaginoise en Sicile prend fin. Rome lance deux opérations décisives : P. Cornélius Scipion part à la conquête de l’Espagne où Hasdrubal trouve la mort alors qu’il revenait au secours de son frère. Puis, alors que l’armée d’Hannibal est harcelée de toute part, les Romains portent la guerre en Afrique. Carthage rappelle son général, l’obligeant à quitter définitivement l’Italie.
La bataille de Zama : la chute du génie
Les dernières dispositions tactiques d’Hannibal
Le 19 octobre 202 avant J.-C., la bataille de Zama met fin à la deuxième guerre punique et à plus de 20 ans de conflits. Hannibal place 20 éléphants en première ligne, les mercenaires gaulois et ligures en deuxième ligne, et l’infanterie carthaginoise et africaine en troisième ligne. Les mercenaires recrutés durant la campagne d’Italie doivent servir de réserves. Il dispose sa cavalerie sur les deux ailes : les Carthaginois à droite et les Numides à gauche.
Pour Hannibal, les éléphants doivent charger en premier tandis que le premier assaut sera mené par les mercenaires gaulois et ligures afin d’affaiblir les Romains. Il fera intervenir ensuite la ligne des Carthaginois et enfin les vétérans pour assurer la victoire.
La riposte brillante de Scipion
Scipion prend des dispositions pour neutraliser le plan du général carthaginois. Rompant avec la formation compacte en quinconce de l’infanterie, P. Cornélius Scipion laisse des passages libres entre les unités tactiques de la légion et case des soldats d’infanterie légère qui peuvent se mouvoir facilement et désorienter les éléphants. Il place la cavalerie italienne sur l’aile gauche et la cavalerie numide menée par Massinissa sur l’aile droite.
La charge des éléphants marque le début des combats conformément au plan d’Hannibal. Mais cette charge tourne rapidement au désastre. Affolés par le vacarme des cors romains, les éléphants paniquent et se retournent contre leurs propres rangs.
L’effondrement final de Carthage
Le plan de Scipion montre alors toute son efficacité. Les cornacs engagent leurs bêtes dans les passages laissés libres et les vélites peuvent lancer leurs javelots sur les flancs des animaux, exposés des deux côtés à la fois. Les deux ailes de l’armée d’Hannibal, les cavaleries carthaginoise et numide, subissent la débandade des éléphants.
Lorsque les deux infanteries s’affrontent, les forces sont déjà inégales. Les auxiliaires gaulois et ligures ne peuvent longtemps résister comme Hannibal l’avait prévu et reculent vers la troisième ligne, celle des Carthaginois et des Africains. Ceux-ci refusent de leur faire place dans leurs rangs et se battent pour repousser à la fois leurs mercenaires et les Romains.
Scipion emploie la même tactique utilisée par Hannibal à Cannes : la deuxième et la troisième ligne des légionnaires partent à l’assaut des ailes et entament un mouvement tournant. Les Carthaginois qui se battent encore contre la première ligne se retrouvent encerclés. La cavalerie numide menée par Massinissa revient et prend de revers l’infanterie carthaginoise.
Le bilan d’une guerre titanesque
Le bilan est sans appel : 20 000 Carthaginois périssent et 10 000 sont faits prisonniers. L’armée romaine déplore la perte de moins de 2 000 hommes.
Après avoir regagné Carthage, Hannibal déclare à ses concitoyens qu’ils viennent de perdre non pas une bataille, mais la guerre. Carthage signe un traité qui marque la fin de sa puissance méditerranéenne et consacre l’hégémonie romaine.
Ainsi s’achève l’épopée d’Hannibal, l’un des plus grands stratèges de l’Histoire. Son génie militaire aura tenu en échec la puissance romaine pendant près de deux décennies. Sa traversée des Alpes et ses victoires tactiques restent des références étudiées dans toutes les écoles militaires du monde.
Note importante : Une histoire à réévaluer ?
La version romaine remise en question
Il convient de préciser que le récit présenté ici reflète la version traditionnelle de ces événements. Telle que transmise par les historiens romains antiques, principalement Polybe et Tite-Live. Depuis quelques années, des recherches archéologiques et les travaux d’historiens tunisiens remettent sérieusement en question cette version officielle.
Le paradoxe du port militaire carthaginois
Plusieurs éléments troublants alimentent ces débats académiques. La datation du port militaire circulaire de Carthage par les missions archéologiques américaine et britannique en 1993 a révélé que sa construction a eu lieu juste après la deuxième guerre punique. Alors que selon le traité de paix, Carthage n’avait pas le droit d’avoir une marine de guerre. Les historiens n’ont jamais expliqué ce paradoxe majeur.
L’énigme de la localisation de Zama
Concernant la bataille de Zama spécifiquement, l’incertitude millénaire qui plane sur sa localisation interpelle. Comment Rome, qui occupait l’Afrique du Nord durant cinq siècles et érigait des monuments pour célébrer ses victoires, n’a-t-elle laissé aucune trace de ce qui aurait été « la victoire la plus importante de toute son histoire » ? Malgré les fouilles dans la région supposée de Zama Regia, aucune trace manifeste d’un champ de bataille à grande échelle n’a été découverte.
Des anomalies historiques troublantes
Certains chercheurs soulèvent également des anomalies dans les destinées post-bataille. Le vainqueur supposé, Scipion, fut accusé de corruption et finit sa vie dans l’insignifiance. Tandis que le vaincu, Hannibal, resta à la tête des armées carthaginoises et développa le pays.
Les recherches contemporaines
L’écrivain tunisien Abdelaziz Belkhodja, s’appuyant sur les travaux de l’historien allemand Theodor Mommsen et du professeur américain Yozan D. Mosig, évoque même « le mensonge de Zama ». Ces recherches suggèrent que l’histoire telle qu’elle nous a été rapportée pourrait avoir été largement réécrite après la destruction de Carthage en 146 av. J.-C.
Cette réévaluation critique rappelle l’importance de confronter les sources écrites antiques aux découvertes archéologiques modernes pour une compréhension plus nuancée de ces événements historiques majeurs.
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Originally posted 2020-03-17 15:25:49.