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La négrophobie est un fléau à combattre en Afrique du nord. Ratonnade de migrants ou d’étudiants d’Afrique subsaharienne, discrimination au quotidien des nationaux noirs, esclavage en Libye, une prise de conscience a lieu depuis quelques années notamment au Maroc ou en Tunisie. Ce racisme n’est pas récent et de nombreux penseurs à l’instar du sociologue Ibn Khaldoun y ont contribué.

La négrophobie en Afrique du Nord, un fléau à combattre

Pour lutter efficacement contre cette calamité, encore faut-il reconnaître ce passif historique et découvrir également les civilisations d’Afrique subsaharienne, notamment celle du brillant empire malien…

« Le drame de l’Afrique est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».

Nicolas Sarkozy

Cette phrase de Nicolas Sarkozy prononcé dans un discours à l’université de Dakar le 26 juillet 2007 suscitera une polémique d’envergure en France. Evidemment était désigné par ses propos l’Afrique subsaharienne, celle peuplée par des hommes noirs. Même si l’on pourrait penser que cette vision négative du continent africain est l’exclusivité des occidentaux, il n’en n’est rien. Au Maghreb aussi, on méprise l’Afrique subsaharienne, sa culture, ses habitants.

Comment l’expliquer?

Les raisons de la négrophobie sont nombreuses. Comme pour les européens, l’esclavage a forcément faussé les relations. Pendant plusieurs siècles en effet, des millions d’esclaves ont été vendus en Afrique du nord pour être employés comme domestiques de maisons, forçats, soldats ou dans la marine. Il en résulte forcément une forme de condescendance héritée de cette période.
En Tunisie par exemple, le terme « oussif » signifiant serviteur, a traversé les siècles et certains l’utilisent encore pour désigner les noirs. La seconde raison est raciale tout simplement. De nombreux maghrébins revendiquent inconsciemment leur arabité pensant que celle-ci leur apporterait une supériorité.
S’ils savaient que les maghrébins sont eux aussi méprisés tant en Europe que dans la Péninsule arabe par d’autres racistes… S’ils savaient également que cette arabité n’est que culturelle et certainement pas génétique comme l’ont prouvé ces dernières années de nombreux scientifiques. Le maghrébin lambda est le résultat d’une multitude d’origines tant la région a été envahie dans l’histoire. Il n’empêche, ce racisme primaire et cette négrophobie persistante entravent les relations entre noirs et blanc au Maghreb. Les mariages mixtes sont ainsi rares et souvent compliqués.
Le métissage est mal vu et il existe un culte de la blancheur que l’on ne peut nier. La dernière raison est intellectuelle. De nombreux penseurs maghrébins ont dénigré les noirs et leur culture faisant preuve d’un ethnocentrisme pour le moins risible. Le paganisme de ce peuple ou leur conversion très récente à l’islam renforçaient également ce sentiment de supériorité et les confortaient dans leur négrophobie. C’est le cas notamment de l’historien et sociologue Ibn Khaldoun l’un des pères de la sociologie moderne. L’intellectuel né à Tunis en 1332 écrit ainsi dans son introduction à l’histoire universelle Al-Muqaddima paru en 1377 :

« Au sud de ce Nil existe un peuple noir que l’on désigne par le nom de Lemlem. Ce sont des païens qui portent des stigmates sur leurs visages et sur leurs tempes. Les habitants de Ghana et de Tekrour font des incursions dans le territoire de ce peuple pour faire des prisonniers.
Les marchands auxquels ils vendent leurs captifs les conduisent dans le Maghreb, pays dont la plupart des esclaves appartiennent à cette race nègre. Au delà du pays des Lemlem, dans la direction du sud, on rencontre une population peu considérable ; les hommes qui la composent ressemblent plutôt à des animaux sauvages qu’à des êtres raisonnables.
Ils habitent les marécages boisés et les cavernes; leur nourriture consiste en herbes et en graines qui n’ont subi aucune préparation ; quelquefois même ils se dévorent les uns les autres : aussi ne méritent-ils pas d’être comptés parmi les hommes. »

Ibn Khaldoun

Ibn Khaldoun revient ensuite sur l’esclavage dans ce même ouvrage en indiquant dans le tome IV de son ouvrage qu’

« Il est vrai que la plupart des nègres s’habituent facilement à la servitude ; mais cette disposition résulte, ainsi que nous l’avons dit ailleurs, d’une infériorité d’organisation qui les rapproche des animaux brutes».

Ibn Khaldoun

Evidemment, ces propos pour le moins choquants sont à contextualiser et ne remettent pas en cause d’autres travaux du sociologue. Il n’empêche, il apparait clairement que la négrophobie des Maghrébins a traversé l’histoire. Les lynchages dont sont victimes les migrants subsahariens et les discriminations dont sont victimes les maghrébins noirs en attestent.
Bien heureusement, la société civile réagit dans ces pays pour combattre ce fléau et cela a même abouti en Tunisie à un projet de loi contre la discrimination raciale. Celui-ci prévoit des sanctions contre toute personne incitant à la haine et la discrimination raciale. Il prévoit également l’instauration d’une commission qui aura entre autre pour mission de mettre au point des politiques pour lutter efficacement contre les discriminations.

La tâche sera ardue. Comme le rappelait fort justement l’avocate et essayiste colombienne Rosa Amelia Plumelle-Uribe qui milite en France contre le supremacisme blanc :

« il faut savoir que même si l’égalité raciale était soutenue par les préceptes de la religion islamique, en fait, la littérature, les arts et le folklore des peuples musulmans exprimaient le contraire.
Ainsi s’explique que, très rapidement, la littérature musulmane ait commencé à véhiculer une image repoussante des Noirs, dont la couleur de la peau associée à leur condition servile devenait un fardeau plus lourd que la servitude elle-même. La plupart des Noirs islamisés, femmes et hommes, finirent par adhérer à cette image infériorisée, vite répandue dans la culture arabo-musulmane »

Rosa Amelia Plumelle-Uribe, Victimes des esclavagistes musulmans, chrétiens et juifs. Racialisation et banalisation d’un crime contre l’humanité, éditions Anibwe, 2012

Alors, comment faire lutter contre cette « image repoussante des noirs» ? L’éducation est certainement le seul moyen efficace. L’étude de la traite orientale et de ses horreurs est indispensable pour commencer (razzias, castrations des hommes, exécutions…).
Cette traite de 13 siècles (du VII ème au XIX ème siècle) qui concerne l’ensemble du monde arabo-musulman a ramené par millions des noirs dans les pays d’Afrique du Nord notamment. Il faudrait aussi découvrir les cultures africaines dans un second temps. Qui sait par exemple que le cubisme de Picasso s’est inspiré de l’art africain et de ses masques ?

Qui sait que la civilisation malienne fut précurseuse en matière de droit des hommes ?

Par Jean-Riad Kechaou


Professeur d’histoire en banlieue parisienne, Jean-Riad Kechaou est l’auteur d’un essai socio historique sur la cité des Bosquets à Montfermeil, le quartier du film les Misérables de Ladj Ly. Militant contre les discriminations, il est également conseiller municipal d’opposition de Montfermeil et formateur en art oratoire auprès des jeunes de Seine Saint Denis.


#Négrophobie #Maghreb #Racisme


Extrait d’un article paru dans La Sultane


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Originally posted 2020-06-08 10:45:00.

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