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Le 13 octobre 2025, Noura Jamila Mahouachi s’en est allée. Vous ne connaissez peut-être pas son nom. Elle ne figurait sur aucune manchette, n’apparaissait dans aucune tribune, ne signait aucun article. Pourtant, chaque ligne publiée dans La Sultane portait son empreinte. Propriétaire discrète de ce magazine depuis 2014, elle a bâti un espace où l’intelligence féminine serait honorée, où la parole libre ne serait jamais compromise. Son effacement était un choix. Les titres ne l’intéressaient pas. Seule comptait sa mission : créer un journalisme qui existerait sans se courber devant les puissants. Voici l’histoire d’une femme qui a choisi la lumière oblique, celle qui éclaire sans s’exposer.

2014 : L’acte de foi d’une visionnaire

En 2014, quand elle a racheté La Sultane, la Tunisie cherchait encore son souffle. Le pays sortait d’une révolution, la peur rôdait dans les rues, les violences contre les femmes s’intensifiaient, les voix extrêmes tentaient d’imposer leur morale au silence des autres. Investir dans un magazine féminin relevait alors de la témérité. Mais Noura voyait plus loin. Elle savait qu’au cœur du chaos, il fallait préserver des îlots de liberté, des lieux où penser autrement restait possible.

Elle nous a confié les clés. Carte blanche totale.

« Créez ce qui manque », nous a-t-elle dit.

Pas de ligne imposée, pas de prudence calculée, pas de censure déguisée en compromis. Juste une exigence: que La Sultane soit à la hauteur de celles et ceux qui la lisent.

Bâtir un magazine qui refuse de réduire

Alors, nous avons bâti. Lentement, fidèlement.

Un magazine qui refusait de réduire les femmes à des consommatrices dociles, un espace où l’on pouvait parler de corps et d’âmes, d’entrepreneuriat et de désir, de politique et d’écologie, de culture et de mémoire. Parce qu’être femme, pour Noura, c’était embrasser la complexité du monde.

Le chemin n’était pas tracé. Certains secteurs nous fermaient leurs portes, arguant qu’un « média féminin » n’avait pas sa place dans les sphères sérieuses. Comme si nos lectrices ne prenaient pas de décisions économiques, ne géraient pas de budgets, ne construisaient pas d’avenirs. Mais ces obstacles n’ont jamais entamé la conviction de Noura.

Ce n’était pas une bataille commerciale qu’elle menait, mais une bataille de sens : celle de croire qu’un magazine féminin pouvait être un lieu de pensée.

Résister quand tout s’effondre

Autour de nous, la presse s’essoufflait. Des médias fermaient, écrasés par les difficultés, par l’indifférence. Nous aurions pu céder. Accepter les compromis, renoncer à ce qui dérangeait, nous fondre dans la masse. Noura n’a jamais voulu.

Même lorsque des offres de rachat lui parvenaient, elle refusait.

« Ce que nous construisons ici est trop important pour être abandonné », disait-elle d’une voix calme, sans emphase, mais que rien ne faisait fléchir.

Un féminisme de libération universelle

Son féminisme n’était pas celui des slogans vides. Elle ne réclamait pas l’égalité pour le principe, ni pour faire du bruit. Elle la défendait parce qu’elle voyait dans l’oppression des femmes une blessure infligée à l’humanité tout entière, une entrave à la possibilité d’être soi.

Le patriarcat, pour elle, n’enfermait pas seulement les femmes : il étouffait chaque être humain contraint de jouer un rôle au lieu d’habiter sa vérité. Elle ne supportait pas qu’on réduise quiconque à une fonction, à une apparence, à une case.

La radicalité dans la constance

Noura ne parlait jamais pour ne rien dire. Sa parole était rare, mais quand elle tombait, elle tranchait.

Elle prenait toujours position du côté des invisibles, des écrasés, de ceux que la société préfère ne pas voir. Sa bonté avait mille visages : un repas offert à un inconnu, un abri improvisé pour un chien, une bourse donnée à un enfant. Elle aidait comme on respire, sans jamais le dire.

Ce qui frappait chez elle, c’était cette alliance de rigueur et de tendresse. Elle attendait le meilleur, mais laissait la liberté d’y parvenir à notre manière. Jamais elle n’a reculé devant un choix audacieux, jamais elle n’a trahi notre confiance par prudence. Ce n’était pas un lien hiérarchique : c’était une alliance, une foi commune dans le pouvoir des mots pour déplacer les lignes.

L’hommage le plus beau : continuer

Aujourd’hui, nous poursuivons. Non par devoir, ni par nostalgie.

Mais parce que son combat reste le nôtre.

Parce que le magazine qu’elle a voulu, continue d’exister, envers et contre tout.

Parce que l’espace qu’elle a créé pour une parole libre et exigeante ne doit pas disparaître avec elle.

Noura nous a appris que la radicalité n’est pas dans le vacarme, mais dans la constance. Qu’on peut refuser les compromissions sans perdre l’élégance. Qu’on peut être intransigeant sur les principes et infiniment généreux envers les êtres.

Elle n’aimait pas les hommages. Elle aurait préféré qu’on se remette au travail plutôt que de pleurer.

Alors nous lui rendons le plus beau des hommages : continuer.

Écrire, penser, résister.

Croire, encore, que les femmes tunisiennes méritent un journalisme à leur hauteur.

Ce numéro, et tous ceux qui suivront, lui sont dédiés.

Parce qu’à travers La Sultane, Noura continue de parler.

Discrètement. Fermement. Comme toujours. Et à jamais.


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