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Octobre 2025. Deux ans que les bombes pleuvent. Deux ans que le monde regarde. L’ordre international tombe le masque.

« Sur cette terre, nous avons ce qui fait vivre : l’hésitation d’avril, l’odeur du pain à l’aube, l’herbe sur la pierre, les opinions de femmes sur les hommes, et nous avons ce qui fait vivre la fin de septembre… » — Mahmoud Darwich

Une colonisation planifiée

Les archives ne mentent pas

L’histoire ne commence pas le 7 octobre 2023, ni même en 1948. Pour comprendre Gaza, il faut remonter aux années 1880 et aux premiers écrits sionistes. Theodor Herzl, dans son Journal (1895), ne mâche pas ses mots : « Nous devrons exproprier gentiment la population pauvre au-delà des frontières en lui procurant du travail dans les pays de transit, tout en lui refusant du travail dans notre propre pays. »

Cette logique d’exclusion n’était pas un accident. L’historien palestinien Walid Khalidi a démontré comment, dès 1918, des cartes détaillées identifiaient les villages arabes à « transférer ». Le Plan Dalet de 1948, révélé par Benny Morris — figure majeure des « nouveaux historiens » israéliens — officialise une stratégie de déplacement qui conduit à la Nakba : l’expulsion de plus de 750 000 Palestiniens.

Chronologie d’une dépossession

  • 1880–1914 : premières vagues d’immigration sioniste, achats de terres
  • 1917 : Déclaration Balfour
  • 1948 : Plan Dalet, Nakba
  • 1967 : occupation de la Cisjordanie et de Gaza
  • 2007 : blocus de Gaza, « prison à ciel ouvert »
  • 2023 : basculement génocidaire

Ce n’est pas une dérive. C’est l’essence du projet.

Le laboratoire Gaza

Entre 1967 et 2023, Gaza devient un véritable laboratoire de contrôle démographique. L’anthropologue israélo-américain Jeff Halper, fondateur de l’Israeli Committee Against House Demolitions (ICAHD), parle de « matrice de contrôle » : un système intégré qui combine le territoire, l’économie, la mobilité, la sécurité et la psyché collective. Concrètement, cela signifie que l’occupation ne se limite pas à une présence militaire : elle se transforme en une technologie de gouvernance et de domination exportable, testée sur la population palestinienne.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : des dizaines de milliers de maisons démolies, des millions d’oliviers arrachés, des terres agricoles confisquées à grande échelle. La stratégie ne consiste pas à anéantir brutalement, mais à étrangler méthodiquement, en maintenant la société sous pression constante.

Dès 2012, une révélation illustre cette logique glaçante : un document militaire, divulgué par Gisha — une ONG israélienne qui milite pour la liberté de circulation des Palestiniens, en particulier à Gaza — expose un calcul cynique des « calories minimales » nécessaires pour éviter une famine, tout en maintenant la population « au bord de l’effondrement ». L’objectif n’était pas de nourrir, mais de contrôler : laisser vivre sans permettre de prospérer.

Un génocide en direct

J’emploie le terme au sens strict de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’ONU en 1948. Selon cette convention, deux éléments doivent être réunis : l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux et des actes matériels concrets (meurtres, atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale, mesures visant à entraver les naissances, transfert forcé d’enfants, conditions de vie calculées pour provoquer la destruction du groupe).

C’est exactement sur cette base que l’Afrique du Sud a saisi la Cour internationale de Justice (CIJ) en décembre 2023, accusant Israël de commettre un génocide contre le peuple palestinien à Gaza. En janvier 2024, la CIJ a reconnu le caractère plausible de ces accusations et a ordonné à Israël des mesures conservatoires : prévenir tout acte de génocide, permettre l’acheminement de l’aide humanitaire et sanctionner les discours incitant à l’extermination.

Les faits relevés par de multiples rapports confirment ces critères :

  • Intention : déclarations publiques de responsables politiques et militaires parlant d’« effacer Gaza », de « réduire la population », ou d’« exterminer l’ennemi ».
  • Actes matériels : bombardements massifs de zones civiles, blocus empêchant nourriture, eau, soins et carburant, destruction systématique d’infrastructures vitales, déplacements forcés de centaines de milliers de personnes.

Autrement dit, nous assistons à un processus de destruction qui ne se cache même plus, filmé, documenté et diffusé en temps réel : un génocide en direct.

Quand les masques tombent

L’attaque du Hamas visant des civils et la prise d’otages, constitue un crime de guerre au sens des Conventions de Genève de 1949 (article 3 commun et Protocole additionnel I, article 51 sur la protection des civils). Les meurtres délibérés de non-combattants et la prise d’otages sont strictement interdits par le droit international humanitaire.

Cependant, la réponse israélienne, fondée sur une logique de punition collective et qualifiée par ses plus hauts responsables de génocidaire, a transcendé le cadre de la légitime défense pour basculer dans un projet d’annihilation.

Yoav Gallant, ministre de la Défense : « Siège complet. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant… Nous combattons des animaux humains. »

Isaac Herzog, président : « Il n’y a pas de civils innocents à Gaza. »

Giora Eiland, ex-chef du Conseil de sécurité nationale : « Gaza doit devenir un endroit où aucun être humain ne peut exister. »

Ce ne sont pas des dérapages. C’est l’aveu de l’intention.

La machine de mort

En octobre 2023, l’historien israélien Raz Segal, spécialiste de l’Holocauste et des génocides, publie un article retentissant dans Jewish Currents (un magazine intellectuel et progressiste de la gauche juive américaine) où il décrit l’offensive israélienne sur Gaza comme un « cas d’école de génocide ». Enseignant aux États-Unis, à la Stockton University (New Jersey), et reconnu pour ses travaux académiques sur la violence de masse, Segal mobilise le droit international et la Convention de 1948 pour affirmer que les actes commis à Gaza relèvent pleinement de la définition juridique du génocide.

Ses propos ont immédiatement déclenché un vif débat. Dans le milieu académique, plusieurs chercheurs et défenseurs des droits humains ont soutenu son analyse, estimant que les faits observés — bombardements systématiques d’infrastructures civiles, hôpitaux et écoles détruits, universités rasées — corroborent ses conclusions. Mais d’autres ont rejeté cette qualification, jugée « excessive » ou « politisée ». La controverse a même eu des conséquences professionnelles : en 2024, l’Université du Minnesota a retiré une offre de poste à Segal, sous la pression de lobbies pro-israéliens, soulevant un débat plus large sur la liberté académique et les pressions politiques exercées sur la recherche.

La dénonciation de Segal rejoint d’autres alertes internationales. La fameuse directive « Hannibal » — une règle militaire qui privilégie l’élimination d’otages plutôt que leur libération — illustre une logique où la vie humaine est instrumentalisée jusqu’au sacrifice. Dans le même temps, Craig Mokhiber, haut fonctionnaire onusien, démissionne en dénonçant « un génocide textuel » qui se déroule sous les yeux du monde, accusant l’ONU de se montrer impuissante, voire complice par son inaction.

L’imposture onusienne

Un système né dans l’inégalité

89 vétos. Zéro sanction. Soixante-quinze ans d’impunité.

Le Conseil de sécurité n’est pas un gardien : c’est un veto-club. 140 pays votent pour la Palestine. Dix s’y opposent. Devinez qui l’emporte ?

Nous savons. Et nous voyons. Nous ne pouvons plus dire que nous ne savions pas. L’avis de 85 % de l’humanité ne pèse rien face aux intérêts occidentaux. Gaza constitue le tombeau du droit international — et nous en sommes les fossoyeurs.

La CIJ, théâtre de l’impuissance

Janvier 2024 : mesures conservatoires. Résultat : intensification des bombardements. Quand des dirigeants ennemis de l’Occident sont visés, applaudissements. Quand Tel-Aviv l’est, circonvolutions.

John Dugard résume : « Le droit international est devenu le droit des puissants par les puissants pour les puissants. »

L’hypocrisie occidentale

Deux poids, deux mesures

Moscou bombarde l’Ukraine : sanctions. Tel-Aviv rase Gaza : munitions. Poutine inculpé : acclamations. Netanyahou visé : « antisémitisme ».

Le droit ne manque pas. Il manque la volonté d’en payer le prix.

Les « valeurs universelles » sont géographiquement et racialement conditionnées. Un enfant blanc mort fait la Une. Mille enfants arabes massacrés font un entrefilet. Ce n’est pas un bug : c’est le système.

Mémoire instrumentalisée

L’identification officielle à Israël s’appuie sur l’instrumentalisation de la mémoire — qui hiérarchise les humanités selon les besoins d’un ordre racial global. D’où ces « Never Again » qui ne s’appliquent jamais aux victimes non blanches des génocides contemporains — du Rwanda au Yémen, de l’Irak au Congo, du Soudan au Sahel.

Les oubliés de l’indignation sélective

Gaza dévoile l’architecture du silence.

Au Congo, plus de six millions de morts depuis 1996, carburant de nos « terres rares ». Au Soudan, depuis 2023, des milliers de morts et des millions de déplacés — la plus grave crise de déplacement actuelle.

Même matrice : des vies noires ou brunes sacrifiées sur l’autel de nos conforts.

Les médias : complices ou aveugles ?

Fabrique du mensonge

Bébés décapités : histoires invérifiées reprises en boucle. Violences sexuelles systématiques : allégations instrumentalisées. « Boucliers humains » : inversion accusatoire.

À l’inverse, chaque massacre israélien subit une euphémisation. Les mots tuent deux fois.

Chris Hedges, ex-New York Times : « Les médias américains sont devenus des organes de propagande, incapables de distance critique face aux mensonges d’État. Gaza a révélé leur vrai visage. »

La résistance bâillonnée

Les réseaux sociaux censurent, déréférencent, étranglent la portée des contenus palestiniens. L’algorithme classe. Il trie. L’algorithme fait taire. Même le marché de l’attention sert la raison d’État quand la raison d’État l’exige.

Le réveil des consciences

Une génération debout

Printemps 2024 : des campements pro-palestiniens émergent sur des campus américains et européens. La jeunesse voit clair.

La réponse : arrestations, bannissements, licenciements. La répression prouve une chose : le récit officiel ne tient pas face aux faits.

Rashid Khalidi l’avait dit : chaque génération redécouvre la Palestine malgré l’effort pour l’effacer.

BDS : le bras armé de la conscience citoyenne pour la Palestine

Face à la poursuite de l’occupation et de la colonisation israéliennes, et alors que les États peinent à imposer le respect du droit international, la société civile mondiale a saisi l’outil du Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS). Né en 2005 d’un appel de la société civile palestinienne, ce mouvement est devenu un mode d’emploi concret pour des millions de personnes souhaitant sortir de la complicité avec une situation qu’elles jugent injuste.

La pression s’exerce par des actes économiques et symboliques précis :

  • Désinvestissement : Sous la pression d’activistes et d’actionnaires, des institutions financières de premier plan prennent des mesures. La banque HSBC a vendu pour environ 1 milliard de dollars de participations dans des entreprises israéliennes comme Elbit Systems, active dans l’armement. Le géant des assurances AXA a cédé pour des millions d’euros d’actions dans des banques israéliennes finançant des colonies illégales.
  • Boycott : Des marques internationales perçues comme soutenant directement l’économie des colonies, comme SodaStream, ont historiquement fait face à des campagnes si efficaces qu’elles ont dû fermer leurs usines en Cisjordanie. Aujourd’hui, des chaînes comme McDonald’s et Starbucks rapportent des baisses de chiffre d’affaires dans certains marchés, qu’elles attribuent en partie aux appels au boycott liés au conflit.
  • Sanctions et isolement culturel/académique : L’appel au boycott culturel empêche la normalisation. Des artistes internationaux annulent des concerts en Israël, et des universités prestigieuses voient leurs syndicats étudiants voter des motions de désinvestissement, fragilisant la légitimité d’Israël sur la scène internationale.

Les chiffres des entreprises visées vacillent, les fonds se retirent sous la pression des risques réputationnels, et les relais d’influence s’affolent. Le mouvement BDS, bien que contesté, prouve qu’une lame de fond éthique peut contraindre les acteurs économiques et politiques à l’écoute, en créant un coût tangible à la poursuite du statu quo.

Gaza, miroir de notre époque

Gaza n’est pas seulement une prison à ciel ouvert. C’est le laboratoire de notre barbarie. Le terrain d’expérimentation de nos silences. Le tombeau de nos « valeurs universelles ».

Ici convergent nos maux : impérialisme, racisme structurel, indifférence programmée au Sud. Notre prospérité se bâtit sur des charniers ; notre démocratie se nourrit du sang des autres ; notre humanisme s’arrête aux frontières de nos intérêts.

Gaza nous tend un miroir. Nous n’aimons pas ce que nous y voyons.

Vers un monde post-occidental

L’ordre de 1945 est mort

À Gaza, ce n’est pas seulement un peuple qu’on assassine. C’est le droit qu’on enterre. C’est l’ONU qu’on réduit en cendres. 85 % de l’humanité regardent, médusés. Dans ce silence, une certitude grandit : l’ordre né en 1945 meurt sous les bombes, en Palestine.

Le monde multipolaire s’organise — BRICS élargis, organisations régionales, mécanismes alternatifs. L’efficacité reste à prouver face à l’hégémonie militaire occidentale, mais une chose est sûre : la croyance dans la neutralité occidentale est morte.

La résistance par la beauté

Face à la machine de mort, la culture palestinienne résiste.

Refaat Alareer, poète de Gaza, écrivait : « Si je dois mourir, que ce soit une histoire. »

Mosab Abu Toha témoigne depuis l’exil : « Ils peuvent détruire nos maisons… pas nos mots, ni nos rêves. »

La beauté ne sauve pas — elle accuse. Elle sauve ce qui, en nous, refuse de mourir.

Agir : les chemins de la résistance

Le diagnostic est posé. L’action nous attend.

Boycotter les complices. Désinvestir de l’apartheid. Sanctionner les bourreaux.

Informer malgré la censure. Résister malgré la répression. Amplifier les voix palestiniennes.

Dans chaque ville, chaque université, chaque conscience, la Palestine appelle.

Deux ans. Deux cent mille morts. Deux milliards de témoins.

Le choix est simple : complices ou libres.

Nous savons. Nous voyons. Mais nous ne pouvons plus nous taire.

La Palestine résiste — et avec elle, ce qu’il nous reste d’humanité.

« Nous jetterons les dés sur la terre de la poésie où aucune frontière ne partage les jardins et les chansons. » — Mahmoud Darwich, Ne t’excuse pas


Pour une analyse complémentaire des recompositions géopolitiques liées à la reconnaissance internationale de l’État palestinien, lire aussi : Palestine 2025 : Comment la reconnaissance mondiale révèle les fractures géopolitiques


Cette tribune dénonce un système politique et ses responsables, sans aucune haine envers les peuples. La critique du sionisme, idéologie politique, ne constitue pas de l’antisémitisme. Les Palestiniens, comme tous les peuples, ont droit à la justice et à la liberté.


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