Le label « Tounsi » est longtemps resté inaccessible pour bien des tunisiens. L’ombre de Ben Ali planait sur tout le pays et tel Louis 14 le roi Soleil (toutes proportions gardées) l’homme se confondait avec l’État. L’écart entre la famille régnante et le reste de la population était immense et les tunisiens vivaient comme les sujets d’une république monarchique. Avec la révolution et malgré la menace obscurantiste, les tunisiens se sont réappropriés avec fierté ce qui fait leur identité : l’hymne nationale, l’histoire trois fois millénaire de leur pays, les us et coutumes, les habits traditionnels…
Des débuts ignorés
Il convient tout de même de noter que sous le régime autoritaire de Ben Ali, à l’École de design de Denden (ESTED) notamment, a été créée la spécialité «artisanat » et l’on demandait déjà aux étudiants de réinterpréter le patrimoine. De nombreux responsables du régime en place ont montré leur volonté de donner ses lettres de noblesse au secteur (la journée nationale de l’artisanat du 16 mars est une initiative de l’administration bénalienne!). Cependant, les efforts fournis recevaient peu le soutien de la population, peu solidaire avec les initiatives présidentielles, même lorsqu’elles étaient bien intentionnées et bien-pensées.
Les créateurs, les stylistes, les artistes, les designers par définition anticonformistes, n’avaient pas vraiment leur mot à dire. Les produits obtenus répondaient davantage à l’esthétisme des gouvernants qu’à une véritable relecture du patrimoine. Une dynamique était lancée. Mais il faudra attendre quelques années encore avant de ne voir les résultats éclore. Autre détail important, le secteur souffrait de préjugés (à tort ou justifiés) concernant la qualité qui laissait souvent à désirer. Pendant longtemps, le fait-main tunisien était synonyme de camelote. À part quelques maîtres artisans vraiment passionnés et attachés à leur travail, les métiers de l’artisanat étaient souvent méprisés (car synonymes d’échecs scolaires) : on ne devenait ébéniste ou tisserand que si on ratait ses études.
Il y a une vingtaine d’années, l’arrivée des paraboles a poussé des milliers de tunisiennes et de tunisiens à adopter les mœurs et le mode de vie à l’occidentale. On portait fièrement des chaussures Nike et Reebok ou le jean Bogart. On mangeait des hamburgers et raffolait de la pizza. Ces années ont été néfastes pour les artisans tunisiens qui étaient de plus en plus nombreux à fermer boutique. Activité en déclin par rapport au passé, en raison surtout de la concurrence de l’industrie moderne, le travail artisanal occupait néanmoins une place encore importante.
Puis il y a eu la révolution en 2011. Cet élan populaire synonyme d’espoir et de changement a été suivi par des périodes de crises interminables et des décisions commerciales aussi mauvaises les unes que les autres prises par certaines autorités compétentes. Les huit dernières années ont même vu nos supermarchés et autres points de ventes envahis par des produits étrangers. Alors que ces matières sont produites en abondance dans notre pays et réputées pour leur qualité : Harissa, tomates, produits électroménagers, textile… Sans oublier le manque de main d’œuvre qualifiée, l’insécurité et la fuite des touristes qui ont fini par porter le coup de grâce à un secteur très mal en point.
Certains compatriotes en sont venus à titrer la sonnette d’alarme. Ils ont décidé de s’investir personnellement et, chose assez remarquable pour être soulignée, ce sont les jeunes (du moins en grande partie car de nombreux retraités ont décidé de se lancer dans l’aventure) qui revisitent depuis deux ans le patrimoine. Artistes, stylistes de mode, influenceurs YouTube n’hésitent pas à s’approprier les traditions culinaires et vestimentaires de jadis pour les remettre au goût du jour. Et ça marche !
Le tunisien redécouvre avec joie la richesse de son patrimoine dans son assiette comme dans sa garde-robe. Il découvre stupéfait tous les dégâts occasionnés au secteur de l’artisanat. Voilà pourquoi depuis deux ans, des compatriotes mettent en avant des traditions culinaires ancestrales que l’on croyait jusque-là disparues et la tapenade, pratique vielle de 3000 ans, s’invite dorénavant dans les dîners.
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THE TUNISIAN TOUCH: LE TOUNSI
Il y a quelques jours de cela, nous fêtions dans la joie et la bonne humeur la Journée nationale de l’habit traditionnel. Nombreux sont ceux et celles qui postaient les photos de leurs enfants habillés en jebbas, kaftans, foutas ou encore en blouzas. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls puisque beaucoup d’expatriés européens se sont également prêtés au jeu.
Nous assistons actuellement en Tunisie à un véritable phénomène de mode. Celui-ci vise toutes les catégories sociales et toutes les tranches d’âges confondues. Force est de reconnaitre que ce sont les jeunes qui ont adopté cette nouvelle mode vestimentaire. Les Young adults (âgés entre 25 et 45 ans). Celle qui consiste à s’habiller à l’ancienne tout en y apportant un souffle nouveau. Les lycéens arborent fièrement la chéchia qui n’est plus seulement de couleur rouge. Elle est dorénavant de couleur bleue, verte et se porte au même titre qu’une casquette. Les jeunes filles aussi portent la chéchia que l’on trouve rose, fluorescente et accompagnée d’un couffin traditionnel. Un exemple parmi tant d’autres.
Avec ce nouvel essor de l’artisanat beaucoup, même au sommet de certains organismes nationaux affichent fièrement cette forme d’appartenance sur les réseaux sociaux comme certains membres de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) qui appellent à sauver le secteur. Ou encore des collectifs comme Be Tounsi qui a pour but de promouvoir l’artisanat et le patrimoine tunisiens en particulier et le Made In Tunisia en général. Ce Collectif a redonné goût de consommer Tounsi à ses adhérents. Des épiceries spécialisées ouvrent un peu partout chaque jour et les parents cuisinent le lablabi car il est bon d’en manger en hiver (dans les menus de certains restaurants tunisiens en France, le plat de leblebi coute très cher). Il prévient de certaines maladies comme le rhume tout en renforçant les défenses immunitaires.
LES STARS ADOPTENT LE TOUNSI
C’est bien connu, la mode vestimentaire est un phénomène qui touche énormément d’adolescents. En effet la manière de se vêtir correspond au goût de chaque individu. Elle permet de se distinguer pour montrer d’où l’on vient et quelle est notre identité. Les stars, les publicités et par les styles d’actualité influencent beaucoup de personnes. D’autres préfèrent adopter des looks excentriques qui pourraient leur correspondre. De nombreuses stars de la musique, du petit comme du grand écran se font approcher par ces jeunes stylistes de talent. Ils se sont fixés comme objectif de relancer le secteur de l’artisanat tunisien. Le résultat est à la hauteur des attentes. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à adopter des t-shirts personnalisés. Ils portent le gadhroun el jerbi réapproprié et revisité tout comme le dengri.
REVISITER LE PATRIMOINE
Les pages culinaires sur internet ont également joué un rôle de grande importance. Les cordons bleus cuisinent des plats ensoleillés typiquement tunisiens dont tout le monde raffole. Des magazines étrangers spécialisés comme Femme actuelle n’hésitent pas à leur consacrer leur unes. Couscous, tajines, bricks, mhamsa, mloukhia, salade tunisiennes, fricassés ont tout simplement le vent en poupe.
Et comment oublier les arts ruraux, témoins d’une civilisation plus reculée. Surtout en ce qui concerne les industries archaïques comme la poterie modelée remis au goût du jour. On n’y rencontre guère d’artisans spécialisés que dans les grosses bourgades.
- Ksar-Hellal pour le tissage.
- Nabeul, Moknine et Guellala pour la poterie tournée,
- Takrouna et Hergla pour les nattes de laine et d’alfa,
- Djebeniana, El-Djem, Oudref pour les tapis de laine ou les couvertures.
Pour le reste, c’est le nomade en voie de sédentarisation ou le semi-sédentaire, quasi fixé en village. Il confectionne lui-même les objets dont il a besoin. Ce savoir que l’on croyait disparut renaît de ses cendres grâce à toutes ces initiatives. L’on peut clairement employer le terme de sauvetage. De nombreux ’artisans dont la production ne répondait plus aux besoins de la vie moderne se trouvaient sans travail. D’autres ne parvenaient plus à tenir face à la concurrence industrielle. C’est ainsi le cas pour de nombreux potiers ou tisserands.
DES MESURES À PRENDRE
Le chef du gouvernement Youssef Chahed, avait annoncé le lancement du Plan national de promotion de l’artisanat. C’était au village artisanal Kastilia à Tozeur. Ce plan visait à créer 100.000 postes d’emplois à l’horizon 2022. Il avait aussi souligné à cette occasion que le gouvernement allait accroître la valeur des investissements dans le secteur. De 18 à 30 millions de dinars. Il augmentera sa contribution au PIB à 6% et ses exportations de 1,8% à 3%. Un plan de modernisation de l’artisanat qui s’articule autour de 5 projets :
- La révision des textes réglementaires et du système de couverture sociale des artisans.
- L’octroi d’un label qualité à 50 produits et l’élaboration d’un guide de l’artisanat.
- L’impulsion à l’investissement et au développement des sociétés artisanales, à travers la mise à niveau de 200 sociétés afin d’améliorer leur compétitivité et l’accompagnement technique de 200 artisans, ainsi que le lancement d’un label spécifique aux artisans et aux sociétés distingués.
- La promotion de la commercialisation, à travers la création d’une structure regroupant les deux secteurs public et privé, qui s’attelle à la promotion et la commercialisation des produits artisans, ainsi que la mise en place d’une ligne de crédit pour faciliter l’acquisition des produits artisanaux tunisiens, et ce moyennant un budget de l’ordre de 12 MDT.
- La conception d’une stratégie de communication.
Il est temps que l’État mette tout en œuvre pour sauver ce secteur crucial de son économie.
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Par Firas Messaoudi