Skip to main content

La boutargue, spécialité culinaire méditerranéenne par excellence, rencontre un succès grandissant de par le monde mais demeure encore méconnue des tunisiens.

La Tunisie est une terre qui n’a de cesse de surprendre ses habitants. En effet, il ne passe pas un jour sans que l’on tombe sur un trésor. Qu’il s’agisse d’un artefact archéologique ou encore d’un met. Et nombreux sont les tunisiens qui, aujourd’hui encore ignorent tout de la boutargue. Il s’agit pourtant d’un produit de luxe tunisien inscrit au patrimoine culinaire et connu en Corse, en Sardaigne, en Toscane ou en Sicile sous l’appellation «Bottarga», en Espagne ou au Portugal «Botarga» voire en Turquie ou en Algérie «Bitarikha».

Qu’est-ce que la boutargue?

L’étymologie du mot viendrait du mot «outarakhon» qui signifie littéralement «œufs de poissons salés et séchés» en copte, langue des chrétiens Égyptiens. C’est au grès des voyages phéniciens entre -1200 et -300 avant l’ère chrétienne que le mot se transforme en fonction de son port de destination, nous rappelant de ce fait l’importance et l’interdépendance des voies commerciales méditerranéennes en ces temps ancestraux. Mais qu’est-ce que la boutargue se demandent encore certains? Ce n’est ni plus ni moins qu’une poche d’œufs de mulet ou de thon rouge salée et séchée, recueillie quand les femelles sont pleines.

Boutargue

À l’instar du caviar, la boutargue est devenue un met recherché et coûteux. Face à la demande, les poches d’œufs sont souvent importées depuis la Mauritanie, le Sénégal et le Brésil. Actuellement, les mulets sont victimes de la surpêche ce qui a fait de la boutargue un produit de luxe. Aujourd’hui, les Japonais et les Taïwanais en ont fait un plat de luxe, servi notamment lors des mariages. Les habitants du pays du soleil levant la connaissent sous le nom de karasumi.

Production de la boutargue

En raison de sa production artisanale et des différentes étapes de fabrication, le produit est acheté de bonne qualité autour de 120-160 euros le kilo… Mais les prix s’envolent facilement! D’où ce courant surnom de «caviar de la Méditerranée». Heureusement, ce met d’exception se consomme en petite quantité, ce qui le rend plus accessible.

L’aventure débute en juillet et août, lorsque le muge ou boutarguier remonte le bras reliant l’étang de Berre à la Méditerranée. C’est ensuite en redescendant vers la mer que les attendent de pied ferme les pêcheurs. Pris­ dans­ de­ longs­ filets­ de­ pêche tendus le long du canal, il est remonté sur une petite barque. C’est là que commence un travail de minutie intégralement manuel:

  • La poche d’œufs des femelles est le produit brut de départ. Elle doit être extraite en une seule fois et sans l’endommager, et c’est la partie la plus délicate de l’élaboration de la boutargue.
  • La poche entière est ensuite mise au contact­ du­ sel­ quelques­ heures­ afinde la cuire légèrement.
  • Puis elle est dessalée et déveinée (en coupant légèrement le dos pour exposer la veine) comme un foie gras pour obtenir une boutargue irréprochable.
  • Enfin­ la­ poche ­est ­a­platie ­d­élicatement pour former une espèce de saucisson plat, forme idéale pour l’étape suivante: le séchage. Le séchage est crucial et doit se faire dans une pièce chaude et ventilée ou à l’air libre et au soleil.
  • La boutargue est finalement­ enduite­ de­ cire­ afin­ d’en stopper la maturation et la protéger de tout contact avec l’extérieur. Ainsi elle peut se conserver plusieurs mois sans altération.
Boutargue

Ce procédé paraît à première vue simpliste. Pourtant tous les paramètres, de temps notamment, sont jalousement gardés secrets par les fabricants. C’est surtout sur les côtes tunisiennes qu’il est possible de pécher cette variété très recherchée de poissons. Comme à Bizerte, Nabeul ou encore Sousse et Monastir. Là, de nombreux petits villages de pêcheurs vivent grâce au muge et surtout au mulet. Le mulet est connu pour affectionner les eaux saumâtres et les fonds vaseux où il se nourrit en fouissant, quand ce ne sont pas les eaux polluées des ports. Il faut donc être sûr de l’endroit où il a été pêché… Il y a un grand nombre d’espèces de mulets, le meilleur serait le mulet doré, reconnaissable à une tache de cette couleur derrière l’œil. La femelle donne ainsi un meilleur produit.

Quelle épicerie pour la boutargue?

Des labels tunisiens ont commencé depuis une dizaine d’années à voir le jour et rencontrent depuis un succès grandissant. Il convient de citer l’épicerie fine appartenant à l’ancien restaurateur Elyes Guiga et située à Gammarth en banlieue nord de Tunis. Un établissement qui a pour nom «La Phénicienne» et qui répond à une demande nombreuse de la part de tunisiens et tunisiennes qui redécouvrent ce produit de luxe national.
Omar Lasram propriétaire de­ «La­ C­acciola»­ une­ épicerie­ fine située au Kram qui suscite elle aussi l’enthousiasme des consommateurs.

Il convient également de citer d’autres épiceries­ fines­ spécialisées dans la vente de la boutargue comme «Le panier» située à la Marsa sur la route du relais. En plus de la boutargue il est possible d’y trouver des charcuteries et une large gamme de fromages français.
«Le Pescadou» enseigne située aussi à la Marsa et plus précisément à la cité des Pins, en vend également. Au même titre que­ l’épicerie­ fine­ «A­ table»­ situé­ à Menzah 1. L’on y trouve même des quiches et du Parmentier de canard. Et enfin comment ne pas évoquer l’épicerie­ fine­ «Anthony­ »­ située­ en face de la pharmacie Belkhodja. Autant d’espaces où il est possible de trouver de la boutargue de qualité ainsi que tous les ingrédients qui l’accompagnent le mieux à table…

La boutargue dans l’assiette

C’est est un produit naturel source de calcium, de magnésium, de sélénium, de phosphore, d’iode et de fluor­ mais­ aussi­ riche ­en­ v­itamine­ A,­ en vitamine B et en vitamine D et d’oméga 3. La boutargue se consomme à température ambiante et en tranches coupées­ très­ fines­ avec­ un­ couteau sans dents pour ne pas l’effriter. Ne pas oublier d’ôter la protection de cire et à sa guise éplucher la fine peau constituant la poche d’œufs. Du fait de la complexité de sa saveur, la boutargue se consomme nature mais se cuisine aussi. L’utiliser dans des plats et recettes simples permet, tout comme la truffe, de la mettre pleinement en valeur.

Les puristes la conseillent­ vivement ­afin ­de­ p­arfumer ou décorer un plat de pâtes. Y ajouter un­ filet­ d’huile­ d’olive­ par­ exemple ou du jus de citron… On peut la réduire en poudre et l’intégrer aux sauces. Elle s’accompagne volontiers de muscadet ou de champagne, mais sera la compagne idéale d’alcool blanc tel que la vodka ou la boukha, l’alcool de­ figue.­ La­ boutargue­ p­ossède­ en outre une texture douce mais collante, légèrement­ confite,­ qui­ permet­ une bonne présence en bouche. Sa saveur est iodée, puissante et forte en poisson idéale pour parfumer et décorer un plat de pâtes.

Ainsi les Italiens la dégustent sur des spaghettis-que l’on peut enrichir de crème et d’ail frais, elle s’accommode à merveille à une salade de céleri-branche et tomates, ou bien encore de mâche, agrémentée de quelques cœurs d’artichaut. En Espagne, on l’aime avec des amandes- grillées et salées si possible-, tandis qu’en Tunisie, elle se déguste avec des olives. Dans le sud­ de ­la ­France,­ un ­simple ­filet ­d’huile d’olive convient parfaitement. Une tranche de pain toastée et beurrée lui va aussi très bien. Imaginez encore des amuse-bouches en l’associant, toujours en fines lamelles, à des rondelles ­de­radis­blanc­et­de­fi­gues;ou bien encore à des rattes, fermes et goûteuses. Le tout à déguster encore une fois avec modération, accompagné un vin blanc sec.

Conservation de la boutargue

La boutargue se conserve au frais, en bas de réfrigérateur pendant environ 6 mois. On nous conseille de bien l­’envelopper ­dans ­un ­film ­a­limentaire. La boutargue se vend habituellement enrobée­ d’une­ fine­ couche de­ paraffine ­ et­ ensachée­ sous ­vide. Elle­ se conserve au réfrigérateur entre +4° et +8°. Une fois entamée. il faut la protéger des odeurs du réfrigérateur par un sac plastique bien fermé (l’aluminium est à éviter). Séchée dans une pièce confinée spécialement dédiée, la boutargue se conserve 4 et 7 mois sans souci avant d’être consommée. Cette méthode de conservation traditionnelle est la plus­ efficace­ à­ condition­ d­’assurer une bonne aération de la pièce à une température ambiante inférieure à 15°C. Pour éviter les transmissions de germes, il faut suspendre la boutargue seule.

Difficile donc de s’aventurer sur une date de péremption pour les produits dérivés. En cas de doute, il vaut mieux la jeter dans les 3 jours après son ouverture. La boutargue en poudre est une autre forme plus facile à conserver. Comment savoir que la poutargue est bonne à jeter? Le sel contenu dans la poutargue est un conservateur naturel très performant. On place également les œufs de mulet dans une poche recouverte d’une couche de cire alimentaire. Celle-ci sert de barrière protectrice contre les microbes et les bactéries et permettant de garder sa texture tendre et souple.

En cas de doute sur la fraîcheur du produit, sachez que la boutargue ne se désagrège pas sous la dent. Si le goût fort iodé n’envahit pas le palais dès les premières secondes ou s’il n’est pas assez puissant, il y a des chances que le produit soit périmé.

Avis aux amateurs de sensations nouvelles…

Cependant quels rôles jouent exactement le Ministère de l’agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche? Celui du tourisme? Et même le Ministère de la culture et de la sauvegarde du patrimoine? Car voilà une richesse mal exploitée et un produit «mal vendu» dirait-t-on sans mauvais jeu de mots. Notons que peu de compatriotes font la promotion de ce produit ancestral. Les touristes se rendent compte, une fois rentrés chez eux que personne ne leur en a proposé au restaurant. Aucun guide touristique n’a pris la peine de leur faire visiter les lieux où l’on pèche les poissons à l’origine de la boutargue. Que penser alors des premiers concernés, les tunisiens eux-mêmes? Les responsables semblent malheureusement incapables de valoriser le savoir-faire local ou national. Prolongeant ainsi un manque à gagner pour le pays. L’espoir reste de mise.


N’oubliez pas de nous suivre et de vous abonner à notre contenu